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MARCELLIN.

(A) Grec de nation, comme il le déclare à la fin de son dernier livre. ] Ce passage sera cité ailleurs [1] ; je puis en rapporter trois autres. L’un est au chapitre VIII du XXIIe. livre, εὐήθην, Græci dicimus stultum : le second est au chapitre XV du même livre, ad ignis speciem, τοῦ πυρὸς, ut nos dicimus, extenuatur in conum : le troisième est au chapitre VI du XXIIIe. livre, transire, διαϐαινειν dicimus Græci. Vossius [2] se sert du second, qui α besoin de la clause qu’il y a jointe, nempè nos Græci. S’il se fût souvenu des deux autres, où l’auteur a mis le propre mot Græci, il les eût cités préférablement à celui-là : mais quoi ! les plus grandes mémoires n’ont pas toujours en main ce qu’il leur faut.

(B) Quoiqu’il fût païen. ] Il est si aisé à ceux qui pèsent exactement chaque chose de connaître qu’il l’était, qu’on ne peut ne pas trouver fort étrange que d’aussi habiles hommes que Pierre Pithou [3] et Claude Chifflet [4], l’aient pris pour un chrétien. Quoi ! un chrétien qui composait son histoire sous des empereurs qui réduisaient le paganisme aux abois, se serait-il contenté de parler honnêtement de la religion chrétienne, et n’aurait-il pas poussé la chose jusqu’à déclarer quelquefois, que c’était la seule bonne et véritable religion, et que le culte des divinités païennes était une idolâtrie ? Sous de semblables empereurs un chrétien aurait-il loué à perte de vue Julien l’apostat [5], sans déclamer fortement contre son apostasie, et contre sa haine pour Jésus-Christ ? Aurait-il parlé de Mercure, et de la déesse Némésis, et de la déesse Thémis, et des superstitions augurales du paganisme, comme Ammien Marcellin en parle ? Je ne connais point d’auteurs chrétiens qui durant même le feu des persécutions, n’aient parlé de l’idolâtrie païenne avec mépris, et avec quelque sorte d’insulte ; et il est incomparablement plus aisé de concevoir qu’un païen use de modération en parlant de l’Évangile, qu’il n’est aisé de concevoir qu’un chrétien le fasse, en parlant du culte des fausses divinités. Les preuves du prétendu christianisme de Marcellin, alléguées par Chifflet, n’ont besoin d’aucune réfutation, si l’on en excepte le passage du livre XXVII, où après avoir censuré le luxe des évêques de Rome, il l’oppose à l’austérité de quelques évêques de province : Quos, dit-il, tenuitas edendi potandique parcissimè, vilitas etiam indumentorum et supercilia humum spectantia, perpetuo numini verisque ejus cultoribus ut puros commendant et verecundos. Mais tout ce que l’on peut inférer de ces paroles, est que, selon cet auteur, la sobriété et l’humilité rendaient les hommes recommandables à Dieu, de quelque religion qu’ils fussent, et que les païens mêmes concevaient de la vénération pour les évêques du christianisme qui témoignaient, par leurs bonnes mœurs, qu’ils ne cherchaient aucun avantage temporel. Quant à la définition qu’il nous donne des martyrs, qui deviare à religione compulsi pertulêre cruciabiles pœnas adusquè gloriosam mortem intemeratâ fide progressi [6], elle ne prouve sinon que les païens mêmes pouvaient admirer une fermeté d’âme qui ne se démentait pas dans les plus cruels supplices. Intemerata fides n’est point opposé en cet endroit à la fausse religion, mais au changement de parti. Ce qu’il avait dit dans la page précédente, qu’un évêque délateur [7] avait oublié que sa profession ne conseille rien qui ne soit juste et pacifique, professionis suæ oblitus, quæ nihil nisi justum suadet et lene, ad delatorum ausa feralia desciscebat, prouve seulement qu’il savait de quoi les chrétiens faisaient profession ; et nous en dirions tout autant des prêtres chinois, si nous savions que leur rituel les engageât à une grande pureté de vie. Est-il besoin d’être chrétien ? ne suffit-il pas d’un peu de raison

  1. Dans la remarque (D), citation (11).
  2. De Histor. lat., pag. 201.
  3. Apud Hadrian. Valesium, præf., edit. 1681.
  4. In Vitâ Ammian. Marcellini. Elle se trouve dans l’édition de Valois, 1681.
  5. L’abbé de Billi, Schol. ad Gregor. Nazianz, orat. Il, in Julian., parle ainsi : Hinc perspicuum est Marcellinum Græcæ superstitionis cultorem plus gratiæ quàm veritati tribuisse, cùm scribit, nulla Juliani definitio litis a verò disonans reperitur.
  6. Lib. XXII, cap. XI.
  7. C’était George, évêque d’Alexandrie qui périt dans une sédition populaire, en 362.