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MARILLAC.

desseins de ce cardinal ; et après avoir rapporté une partie des choses qui furent réglées dans les états d’Orléans, il ajoute[1] : » Mais pour general refrain on a accordé pour cinq ans au roy un subside de cinq sols pour chaque muis de vin entrant dedans les villes closes. C’est presque le but et conclusion de telles assemblées, de tirer argent du peuple par une honneste stipulation du roy avec ses trois estats. »
Notez, je vous prie, que Pasquier se vante d’avoir une infinité de raisons qui montrent que rien n’est plus pernicieux à la France que la tenue des états généraux. Je ne doute point qu’il n’eût pu produire là-dessus beaucoup de raisonnemens, et je crois aussi que notre Charles de Marillac eût pu répliquer à tout, et que c’est une matière sur quoi l’on peut soutenir à perte de vue le pour et le contre. Mais si l’on en appelait à l’expérience, il est apparent que l’opinion de Pasquier l’emporterait ; car il serait bien difficile de marquer les avantages que la France a tirés de ces assemblées, et bien facile de prouver qu’elles ont servi à fomenter les désordres[2]. Les Anglais ont raison de lire que la tenue fréquente des parlemens est nécessaire au bien du pays ; mais la France ne peut pas dire la même chose de ses états généraux. On les convoqua souvent sous le règne des fils de Henri II, et jamais la France ne fut plus brouillée, ni plus désolée qu’en ce temps-là ; et au lieu de trouver du remède dans ces convocations, elle y empirait. Personne ne doit reconnaître cette vérité plus franchement que ceux de la religion ; car c’était dans ces assemblées que leurs ennemis prenaient de nouvelles forces. Il y a des gens qui comparent les états généraux avec les conciles : ce sont, disent-ils, toutes assemblées de mauvais augure ; elles sont un témoignage que les maux publics sont grands, et que l’on commence à désespérer de la guérison. On fait alors comme dans les maladies à peu près désespérées ; on assemble quantité de médecins ; on les fait venir de loin ; ils consultent ; ils disputent ; ils s’accordent rarement ; il en faut venir à la pluralité des suffrages ; ils font si bien que le malade peut dire : la multitude de medecins m’a fait mourir[3]. Les belles harangues ne manquent pas dans ces assemblées, mais les cabales et les intrigues y manquent encore moins, et la conclusion suit presque toujours, non pas la justice et la vérité, mais la brigue la plus forte.

(C) Je dirai quelque chose de François de Marillac… dans mon commentaire. ] Lui et Pierre Robert furent donnés pour conseil au prince de Condé, l’an 1560, dans le procès de crime d’état qui fit tant de bruit, et qui pensa lui faire perdre la tête sur un échafaud. Cum præcipiti Gui- sianorum violentiâ amputatas omneis moras videret Condæi uxor, libello supplice à rege petit et impetrat, ut marito homines spectatæ eruditionis ac prudentiæ darentur, quorum consilio uteretur, nominati à rege Petrus Robertus et Franciscus Marillacus celeberrimi in foro patroni[4]. Je rapporte ces paroles de M. de Thou, parce qu’elles font connaître la réputation de Marillac. Il n’y avait pas long-temps qu’il avait servi d’avocat à Anne du Bourg. On a mis dans la table des matières de l’Histoire de François II, que Marillac, avocat, trahit du Bourg en plaidant pour lui. Cela doit être développé ; car autrement on en pourrait inférer que cet avocat fut un traître et un prévaricateur ; et ce serait lui faire un grand tort, puisqu’il n’y eut dans sa conduite qu’un mensonge officieux destiné à sauver la vie à son client. Voici le fait selon le narré du sieur de la Planche[5] : « Ses causes de

  1. Pasquier, Lettres, liv. IV, pag. 195 du Ier. tome.
  2. Voici l’une des raisons que Charles de Marillac eut à combattre : il ne nia point le fait. Aucuns ont voulu, dit-il, Hist. de François II, pag. 550, mettre en avant ce qui advint du temps du roi Jean, où les états réduisirent le dauphin à prendre plusieurs partis indécens.
  3. Hinc illæ circà agros miseræ sententiarum concertationes, nullo idem censente ne videatur accessio alterius. Hinc illa infelicis monumenti inscriptio Turba se medicorum perisse. Plin., lib. XXIX, cap. I, pag. m. 667. Conférez ce que dessus, citation (28) de l’article Hadrien, tom. VII, pag. 430.
  4. Thuan., lib. XXVI, pag. 522, col. 1.
  5. Louis Régnier, sieur de la Planche, Histoire de François II, pag. 33. Bèze a copié mot à mot tout ce passage dans l’Histoire ecclésiastique des Églises, liv. III, pag. 222.