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MARILLAC.

tion si sensée [1] : Postquàm bellatum apud Actium, atque omnem potestatem ad unum conferri pacis interfuit ; magna illa ingenia cessêre. Simul veritas pluribus modis infracta, primùm inscitiâ reipublicæ ut alienæ, mox libidine assentandi, aut rursùs odio adversùs dominantes. Ita neutris cura posteritatis, inter infensos vel obnoxios. Sed ambitionem scriptoris facilè adverseris : obtrectatio et livor pronis auribus accipiuntur. Quippé adulationi fœdum crimen servitutis, malignitati falsa species libertatis inest. Il est certain, ordinairement parlant, que les éloges flatteurs tombent avec ceux pour qui on les avait faits, et que la postérité n’y est pas trompée ; mais qu’une histoire critique des grands, composée avec une malignité bien conduite, ne se perd pas. Cette espèce de mensonge impose bien plus que l’autre aux siècles suivans : son activité est éternelle. Les flatteurs mêmes recueillent cela comme de la manne plusieurs siècles après, et s’en servent pour relever le mérite de leurs héros. Ils les louent sans mesure ; mais pour faire accroire qu’ils n’aiment pas à flatter, ils déchirent sans miséricorde ceux qui ne sont plus en vie. Ils prennent le contre-pied des vieillards [2]. M. le Laboureur a découvert ce tour de souplesse dans quelques auteurs de son temps. Si je cherche, dit-il [3], chaque bon ou mauvais héros jusque dans son berceau, je le suivrai et je l’épierai encore dans ses actions particulières, aussi-bien que dans celles qui ont paru grandes aux yeux de son siècle : parce que c’est le seul moyen de détruire tout ce que la flatterie a érigé d’injustes monumens, et de rompre ou de déshonorer le malheureux commerce d’un grand nombre de plumes dédiées à un intérêt servile et déshonnête, qui ont l’imprudence d’adresser à la postérité ce qu’ils n’ont fait que pour une saison. Nous en avons toute sorte d’exemples, mais je n’en trouve point de plus condamnable que celui de quelques écrivains assez modernes, qui pour feindre d’avoir été violentés par la vérité, quand ils ont parlé à l’avantage de quelques personnes odieuses ou d’un mérite fort douteux, qui n’avaient rien de plus louable que d’être vivans et en pouvoir de leur bien faire, affectent de déchirer ailleurs les sujets les plus accomplis dont ils n’ont rien à craindre ni à espérer ; les traitent d’un style de satire plutôt que d’histoire, et répandent gratuitement sur leur mémoire tout le venin dont une lâche et avare médisance peut être capable.

Disons quelque chose sur la 2e. difficulté, et tombons d’accord qu’il y a beaucoup d’apparence que si le maréchal de Marillac n’eût point tâché de ruiner le cardinal, il n’aurait eu rien à craindre d’une chambre de justice ; et que s’il se fût attaché aux intérêts du cardinal, son péculat et ses concussions n’eussent point nui aux progrès de sa fortune. Il était peut-être moins coupable que tel et tel dont non-seulement les fautes demeurèrent impunies. Mais aussi dont les services furent amplement récompensés à la recommandation de son ennemi. Il représenta à ses juges, que tout ce dont on l’accusait consistait en faits si peu considérables, qu’on les pourrait objecter à quiconque aurait eu le moindre commandement dans les armées [4] ; et il dit, le jour de son exécution, que c’était chose étrange de l’avoir poursuivi comme on avait fait, ne s’agissant dans tout le procès que de foin, de paille, de pierres, de bois, et de chaux ; et qu’il n’y avait pas en tout cela de quoi faire fouetter un laquais [5]. M. du Châtelet réfute cela d’une manière très-forte [6] ; mais il est sûr que pour l’ordinaire ceux qui commandaient les troupes en ce temps-là se servaient de mille moyens injustes de s’enrichir. Il faut une remarque qui tend à ceci ; c’est que les fautes de ce maréchal seraient de-

  1. Idem, Histor., lib. I, cap. I.
  2. Horace, de Arte poeticâ, vs. 173, dit que les vieilles gens louent le passé et blâment le présent.

    ....... Laudator temporis acti,
    Se puero, censor, castigatorque minorum.

  3. Le Laboureur, préface de l’Histoire de Charles VI, folio ciij verso. Conférez ce qui est dit dans les Nouvelles de la République des Lettres, juin 1686, art. I, à la fin.
  4. Relation du Procès du maréchal de Marillac, pag. 8.
  5. Là même, pag. 18.
  6. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de M. de Marillac, p. 821, 822.