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MARILLAC.

meurées impunies, s’il n’eût encouru par d’autres endroits l’indignation de la cour. Pesez bien ces paroles[1] : « Tous les états les plus rigoureux ont souffert que les crimes communs fussent dissimulés ès personnes principales : l’éclat et le relief qu’elles ont, et les bonnes grâces du maître qui s’y joignent le plus souvent, couvrent les délits ordinaires : mais s’il arrive que la malice et la méconnaissance éteignent les faveurs qu’elles ont, elles se rendent semblables aux moindres du royaume ; leurs fautes paraissent égales, et deviennent capables des peines ordonnées contre les autres sujets. Tous les hommes employés aux grandes charges n’y viennent que par la grâce du souverain, en la main de qui toutes les lois sont des feux éclatans, pour remplir de lumière ceux qu’il lui plaît, et consommer les autres, quand bon lui semble. Les rencontres des larcins et des mauvaises intrigues ont accablé celui-ci. » Cela veut dire que l’on eût fermé les yeux sur de semblables concussions commises par un autre maréchal de France dont le reste de la conduite eût tendu au bien de l’état ; mais que les factions de celui-ci ne tendant qu’à semer la division dans la famille royale, au profit des Espagnols[2], on se crut en droit de l’abandonner aux rigueurs de la justice. Parlons franchement. Ceux qui formèrent des factions auprès de Marie de Médicis étaient indignes d’excuse ; car, au lieu d’entretenir cette princesse dans la passion de dominer, on devait lui conseiller de se tenir en repos. Elle avait assez goûté de la royauté pendant la vie de son mari, et jusques à la majorité de son fils. Le voyant majeur et marié, elle ne devait plus songer qu’à la condition tranquille d’une reine douairière, sans vouloir prescrire à Louis XIII le choix de tels ou de tels ministres, et se quereller avec eux. Je crois qu’on eût pu lui appliquer ce que Tibère dit un jour à la veuve de Germanicus : Vous comptez pour une injure tout ce qui vous empêche de régner : Nurum Agrippinam, post mortem mariti, liberiùs quiddam questam, manu apprehendit : græcoque versu, si non dominaris, inquit, filiola, injuriam te accipere existimas[3]. La Gazette de Paris content une chose singulière touchant les raisons qui engagèrent le roi à n’accorder point de lettres de grâce en cette rencontre. La mort du maréchal de Marillac, (c’est ainsi que le gazetier s’exprima dans l’article de Bruxelles, daté du 15 mai 1632) fait ici parler diversement. Toutefois la plus constante opinion est que ceux qui ont écrit, sous les noms de la reine-mère et de monsieur, les lettres pleines de menaces adressantes à ses juges pour les intimider, au lieu de lui servir, ont été causes de sa ruine. D’autant qu’elles ont empêché le roi de lui donner sa grâce, et comme contraint sa majesté de l’abandonner à sa justice, au lieu des effets de sa clémence, qu’il eût éprouvée si sa majesté n’eût appréhendé avec grande raison qu’on imputât à faiblesse et à crainte, ce qui n’eut été dû qu’à sa miséricorde[4]

Quant à la question, si le péculat peut être puni du dernier supplice, je vous renvoie à monsieur du Châtelet[5], qui a soutenu que le jugement du maréchal de Marillac n’excéda point la rigueur des lois. C’est un article qu’on a de la peine à lui passer ; et l’on approuverait beaucoup mieux qu’on ne l’approuve ce jugement-là, si on le trouvait conforme à celui qui fut rendu à monsieur de Fouquet. On publia au temps du procès de celui-ci un savant ouvrage sur le péculat.

Si l’on considère qu’encore aujourd’hui il se trouve des auteurs qui décident pour l’innocence de monsieur de Marillac [6], on ne trouvera pas

  1. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de M. de Marillac, p. 804, 805.
  2. Après toutes les lumières et les fortes conjectures que sa majesté put avoir, qu’il était en partie coupable des troubles et de la division qui se commençait en France pour le seul avantage des étrangers, un autre que ce fidèle historien, ou quelqu’un de ses complices, trouvera-t-il injuste qu’on l’ait poursuivi de cette sorte ? Là même, pag. 823.
  3. Sueton., in Tiberio, cap. LIII.
  4. Gazette de Paris, du 24 de mai 1632, pag. 24, édition de Rouen, in-8o.
  5. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de M. de Marillac, p. 807 et suiv.
  6. Voyez, tom. IX, pag. 448. citat. (35) de l’article de Louis XIII, ce que j’ai cité des Mémoires d’Artagnan, et joignez-y ces paroles