Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T10.djvu/311

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
301
MARILLAC.

mal convenables à un dictionnaire critique les discussions que je viens de proposer dans toute cette remarque ; car il est plus utile qu’on ne se figure d’accoutumer ses lecteurs à ne se pas laisser entraîner aux jugemens populaires sur la conduite des souverains. Il est surtout dangereux de s’y tromper lorsqu’on apprend que les opinions communes se fortifient par je ne sais quels apophthegmes débités sous un grand nom. Nous voici dans le cas : lisez ce qu’un habile homme vient de publier. « Ce fut sous prétexte de péculat, que le cardinal de Richelieu fit couper la tête au maréchal de Marillac. On alléguait contre ce seigneur, qu’il avait employé les deniers du roi en de superbes bâtimens dans sa belle terre de Tournebu. Cette belle terre, d’environ deux mille livres de rente, est située en Normandie sur le bord de la Seine, entre Vernon et Andely. M. de Marillac, qui la tenait de ses pères, avait entrepris d’y bâtir une maison d’environ dix ou douze mille écus, qu’il a laissée imparfaite. Un jour le prince de Condé, aïeul de M. le prince d’aujourd’hui, passant devant cette magnifique maison à moitié bâtie, et qui n’a ni portes ni fenêtres, s’arrêta tout court, et l’ayant considérée, dit aux gentilshommes de sa suite : On allègue ce bâtiment pour faire couper le cou à Marillac ; mais il n’y a pas de quoi faire donner le fouet à un page [1]. » Voyez comment on promène ce bon mot. Quelques-uns l’attribuent au cardinal de Richelieu [2], d’autres à M. de Marillac même [3], et d’autres au prince de Condé. Si ce prince parla de la sorte, il ne se piqua guère d’exactitude ; car il supposa que ce bâtiment fut la base des accusations qui firent perdre la vie au maréchal de Marillac, et peut-être que dans tout le cours du procès, il ne fut rien dit de particulier touchant la maison de Tournebu. Les juges ont bien affaire de s’informer d’une dépense à venir ; et ce serait une belle chose que de condamner un homme pour un bâtiment qui n’est pas encore fait. Mais qu’est-il besoin de dispute ? On n’a qu’à lire l’arrêt rendu par les commissaires, on verra qu’ils se fondèrent sur tout autre chose que sur un dessein de bâtiment.

(B) Il donna dans les yeux d’une fille de la reine. ] Voici la suite des paroles de M. du Châtelet [4] : « Sortie d’une branche de la maison de Médicis, auparavant que la couronne de Florence y eût entré. Elle était pauvre, médiocrement belle, et déjà divers desseins de trouver une alliance plus advantageuse avaient mal réussi. Les apparences de ne rencontrer pas mieux, et la peur, encore plus légitime pour une étrangère que pour une autre, de vivre à la suite avec cette fâcheuse qualité de vieille fille, la résolurent à l’épouser. Il est vrai que ce contrat ne fut pas bien difficile, puisqu’elle n’avait pour bien que le nom, et que son amoureux ne pouvait payer que de mine et de galanterie. Mais ils firent ensemble un fonds de grandes espérances, et joignirent aux adresses naturelles d’une Italienne élevée dans la cour, les fourbes et les détours d’un homme qui, depuis quinze ans, y avait appris tous les arts de tromper et de paraître ce qu’il n’était point. » Cette dame mourut pendant le procès de son mari. J’en vois la preuve dans le discours que le maréchal fit à ses juges. Il leur représenta les devoirs où feu la dame maréchale sa femme s’était mise pour avoir accès auprès du roi, par le moyen et la permission de M. le cardinal de Richelieu ; et il ajouta qu’elle avait été inhumainement rebutée, exilée, et pirement traitée qu’en pleine Barbarie, puisqu’elle avait été contrainte de se retirer en un village, dans une maison empruntée, où elle était morte de déplaisir, et presque sans secours [5].

    de la page 50 du même livre : Le maréchal de Marillac, quoiqu’il ait péri malheureusement, n’en est pas moins recommandable par mille honnêtes (lisez parmi les honnêtes) gens qui savent de quelle manière arriva son malheur.

  1. Vigneul Marville, Mélanges d’Histoire et de Littérature, tom. II, pag. 15, édition de Hollande, 1700.
  2. Voyez, tom. IX, pag. 449, citat. (42) de l’article Louis XIII.
  3. Voyez ci-dessus, citation (19).
  4. Du Châtelet, Observations sur la vie et la condamnation de Marillac, pag. 770, 771.
  5. Relation véritable de ce qui s’est passé au procès du maréchal de Marillac, pag. 8 et 9.