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MAROT.

une versification qui même avait été faite et chantée à Paris avant que de l’être à Genève. Cela n’est point exact, puisque la versification faite à Paris ne comprenait que trente psaumes, et que ceux qui la chantèrent étaient indifféremment ou amis ou ennemis de la religion réformée. Ce fut à la cour de François Ier. qu’on la chanta principalement ; et l’on sait combien ce prince persécutait la nouvelle religion. Et si dans la suite les Français chantèrent les autres vingt psaumes de Marot, et ceux de son successeur, ce fut avant que les réformés se distinguassent par cette espèce de chant, et en fissent une partie de leurs exercices de dévotion : or ils ne firent cela qu’après que tout le Psautier eut été mis en musique à Genève, et réuni au catéchisme ; et dès ce temps-là les catholiques renoncèrent au chant de ces psaumes, comme on l’a vu ci-dessus dans un passage de Florimond de Rémond [1]. On ne peut donc point prétendre que cette versification ait été chantée à Paris avant que de l’être à Genève : on ne peut point, dis-je, prétendre cela dans le sens dont il est ici question ; car il s’agit d’un chant considéré comme une partie des exercices de piété. À cet égard-là son berceau est à Genève, et l’on ne peut disputer la primauté à l’église de Genève. Je sais bien ce que l’on peut alléguer touchant les nombreuses assemblées des réformés de Paris, environ l’an 1558. Théodore de Bèze en dit ceci [2] : « Ainsi donc se multiplioit assemblée de jour en jour à Paris, où il advint que quelques-uns estans au pré aux clercs, lieu public de l’université, commencerent à chanter les pseaumes : ce qu’estant entendu, grand nombre de ceux qui se pourmenoient, et s’exerçoient à divers jeux, se joignirent à ceste musique, les uns pour la nouveauté, les autres pour chanter avec ceux qui avoient commencé. Cela fut continué par quelques jours en tres-grande compagnie, où se trouverent le roy de Navarre mesmes avec plusieurs seigneurs et gentilshommes tant François que d’autres nations, se trouvans là et chantans les premiers : et combien qu’en grande multitude se trouve volontiers confusion, toutesfois il y avoit un tel acord, et telle reverence, que chascun des assistans en estoit ravi, voire ceux qui ne pouvoient chanter, et mesmes les plus ignorans estoient montés sur les murailles, et places d’alentour, pour ouïr ce chant, rendans tesmoignage que c’estoit à tort, qu’une chose si bonne estoit defendue. » Mais qui ne voit que tout ceci est postérieur au Psautier que ceux de Genève avaient joint au catéchisme ? Notez qu’avant que Théodore de Bèze eût travaillé à la version de cent psaumes, on chantait ceux de Marot dans les assemblées ecclésiastiques de Genève ; car sans doute les paroles que je vais citer se doivent entendre d’une assemblée de Genève : « [3] Theodore de Bèze escrivit de soi mesme en sa Paraphrase sur les Pseaumes en l’an 1581 : il y a maintenant trente deux ans (assavoir des l’an 1549 [4] que ce pseaume 91 fut le premier que j’ouï chanter en l’assemblée des chrestiens, la premiere fois que je m’y trovai ; et puis dire, que je me suis tellement senti resioui de l’ouïr chanter, à ceste bonne rencontre, que depuis je le porte comme engravé en mon cœur. »

(Q) Il était père... Michel Marot son fils, composa des vers qui ont été imprimés. ] Vous trouverez ceci dans la description de la fuite de Clément Marot.

J’abandonnai, sans avoir commis crime,
L’ingrate France, ingrate, ingratissime
A son poëte : et en la delaissant,
Fort grand regret ne vint mon cueur blessant :
Tu ments, Marot, grand regret tu sentis,
Quand tu pensas à tes enfans petits [5].


  1. Citation (73).
  2. Bèze, Hist. eccles., liv. II, pag. 141. Voyez aussi Jérémie de Pours, Divine Mélodie du saint Psalmiste, pag. 731, 732.
  3. De Pours, Divine Mélodie du saint Psalmiste, pag. 730.
  4. Je ne crois pas que le sieur de Pours ait bien calculé ; car Bèze étant arrivé à Genève, le 24 d’octobre 1548, quelle apparence qu’il n’ait commencé d’assister aux assemblées des fidèles, qu’en 1549 ?
  5. Marot, Épître au roi, au temps de son exil à Ferrare, pag. m. 181. Ajoutez que dans de poëme où il prie le dauphin de lui faire avoir un passe-port, pag. 182, il dit :

    Non pour aller visiter mes chasteaux,
    Mais bien pour voir mes petits Maroteaux.