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MAROT.

autres lourderies qu’on a meslées en mes livres. Voici un nouveau sujet de plainte. Encores ne leur a souffi, continue-t-il, de faire tort à moi seul, mais à plusieurs excellens poëtes de mon temps ; desquels les beaux ouvrages les libraires ont joints avecques les miens, me faisant (malgré moi) usurpateur de l’honneur d’autrui : ce que je n’ai peu savoir et souffrir tout ensemble. Si ai jetté hors de mon livre, non seulement les mauvaises, mais les bonnes choses, qui ne sont à moi, ne de moi : me contentant de celles que nostre muse nous produit. Toutefois, au lieu des choses rejectées (afin que les lecteurs ne se plaignent) si j’ai mis douze fois autant d’œuvres miennes, par ci devant non imprimées : mesmement deux livres d’épigrammes. Et après avoir revu et le vieil et le nouveau, changé l’ordre du livre en mieux, et corrigé mille sortes de fautes infinies procedans de l’imprimerie, j’ai conclu t’envoyer le tout, afin que sous le bel et ample privilege, qui pour ta vertu méritoire t’a esté octroyé du roi, tu le faces (en faveur de notre amitié) r’imprimer, non seulement ainsi correct que je te l’envoye, mais encores mieux : qui te sera facile, si tu y veux mettre la diligence esgale à ton savoir. Si l’on veut savoir en quoi consistait le nouvel arrangement de ses poésies, on n’a qu’à considérer ces paroles : « D’avantage par icelles leurs additions se rompt tout l’ordre de mes livres, qui tant m’a cousté à dresser, lequel ordre (docte Dolet, et vous autres lecteurs debonnaires) j’ai voulu changer à ceste derniere revue, mettant l’adolescence à part, et ce qui est hors de l’adolescence tout en un, de sorte que plus facilement que paravant rencontrerez ce que voudrez lire : et si ne le trouvez-là, où il soulait estre, le trouverez en reng plus convenable. » La conclusion de cette lettre est bien notable. Vous advisant, que de tous les livres, qui par cy devant ont esté imprimez sous mon nom j’advoue ceux-ci pour les meilleurs, plus amples, et mieux ordonnez, et desavoue les autres comme bastars, ou comme enfans gastez. C’est ce qu’il écrivit à Lyon, le 31 de juillet 1538. Il y avait alors près de huit ans qu’il avait fait imprimer les poëmes qu’il intitulait l’Adolescence, et auxquels la lettre à un grand nombre de frères qu’il a, tous enfans d’Apollon, servit de préface. Ce que je vais copier de cette lettre nous fera savoir l’empressement du public pour les productions de la muse de Marot. « Je ne sçay (mes très-chers freres) qui m’a plus incité à mettre ces miennes petites jeunesses en lumiere ; ou vos continuelles prieres, ou le desplaisir que j’ai eu d’en ouir crier et publier par les rues une grande partie toute incorecte, mal imprimée, et plus au profit du libraire, qu’à l’honneur de l’auteur. Certainement toutes les deux occasions y ont servi ; mais plus celle de vos prieres. » C’est dans la même lettre que l’on trouve ce que Pasquier nous a appris ci-dessus [1], « Esperant, de brief vous faire offre de mieux : et pour arres de ce mieux, desia je vous mets en veue, après l’Adolescence [2], ouvrage de meilleure trempe et de plus polie estoffe : mais l’Adolescence ira devant, et la commencerons par la premiere eclogue des buccoliques virgilianes, translatée (certes) en grande jeunesse, comme pourrez en plusieurs sortes connoistre, mesmement par les couppes feminines, lesquelles je n’observois alors ; dont Ian le Maire de Belges (en les m’apprenant) me reprint [3]. » Cette lettre fut écrite de Paris, le 12 d’août 1530 : et il est bon de remarquer cette date ; car c’est l’époque de la première édition que Clément Marot ait avouée et dirigée.

Quand l’édition de Niort ne procurerait que la connaissance des particularités que je viens de rapporter, elle mériterait d’être préférée aux autres ; mais ce n’est point là son seul avantage : les œuvres de Clément Marot y sont rangées en très-bon ordre, et augmentées de plusieurs pièces qui n’avaient point encore paru. Le libraire nous apprend qu’il avait fait ainsi disposer le tout à

  1. Dans la remarque (L), à la fin.
  2. À cette occasion, je remarquerai que le livret de la Suite de l’Adolescence Clémentine fut imprimée, à Lyon, par François Juste, l’an 1534. Voyez l’édition de Niort, pag. 398.
  3. Marot, Épître à un grand nombre de Frères.