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MONTMAUR.

dre réussir en toutes choses ; on ne veut point passer pour avoir un génie borné : comme il n’y a guère de poëte qui n’étende sa juridiction depuis l’épigramme jusqu’au poëme épique, on ne voit presque point aussi d’orateur qui du panégyrique ne descende jusqu’au billet doux... Scarron, que la nature fit tout burlesque, et dont l’esprit et le corps furent tournés tout exprès pour ce caractère, eut bien l’audace de vouloir composer une tragédie ; et sans doute qu’il l’aurait fait, si la mort n’eût prévenu la témérité de son entreprise. Enfin Balzac lui-même a suivi ce mauvais exemple ; et non content de remporter la gloire du grand style, il a voulu montrer par le Barbon, qu’il n’était pas moins propre à la raillerie : cependant il s’est trompé de ce côté-là ; les délicats n’ont pas été de son goût, et son Barbon n’a fait que gâter ses œuvres. Suivons toujours notre naturel, ne sortons jamais du genre qui nous est propre, et n’envions point aux autres la gloire que nous ne saurions acquérir comme eux [1]. » M. de Balzac avait reçu des nouvelles plus agréables touchant son Barbon : car on lui manda que cet ouvrage avait eu un très-grand succès, et qu’on l’admirait dans Paris. Voici le commencement d’une de ses lettres à M. Ménage. Benè est, abundè est, plus sat est etiam mihi. Quæ scripsi ego olim, municipalis ille et orator et historicus, probata nuper sunt Lutetiæ Parisiorum. In amplissimo orbis terrarum theatro Barbo meus saltavit et placuit [2]. Il me semble que le jugement de M. Guéret n’a pas assez d’équité. Le Barbon, je l’avoue, est d’un style trop sérieux : la plaisanterie n’y est pas tournée avec cette gaieté, ni cette facilité, que d’autres auraient répandue ; mais le ridicule de la pédanterie y est marqué vivement et heureusement par beaucoup de caractères très-singuliers.

Si l’on veut trouver quelques excuses pour la vivacité du ressentiment de Balzac, il faudra que l’on consulte le poëme de Féramus. C’est là qu’on peut lire, non-seulement que Montmaur exerçait sa médisance contre les Scaliger, les Saumaise et les Grotius, mais aussi qu’il traitait M. de Balzac avec le dernier mépris.

Te quoque, BALZACI, nostræ decus addite genti,
Urbe vetat, patriâque jubet torpescere villâ,
Indecorem regique tuo nova condere regna
Quærere, et efficto virtutes principe dignas [3].


Vous voyez bien que l’offense était personnelle, et qu’il ne s’agissait pas seulement de soutenir la cause publique. J’ai quelque soupçon que le passage que j’ai cité dans l’article de Desbarreaux [4] concerne notre Montmaur. Ce serait encore une nouvelle preuve de la violence du ressentiment de Balzac.

(K) Il y a des personnes de mérite qui condamnent le déchaînement des persécuteurs de Montmaur. ] Trois autorités me suffiront. Je citerai premièrement M. Cousin : Entre les poésies, dit-il [5], que M. Ménage composa en ce temps-là, il y en eut deux qui firent beaucoup de bruit. L’une fut la métamorphose du Pédant parasite en perroquet. Il entendait sous ce nom un professeur en langue grecque, contre lequel plusieurs autres poëtes s’étaient déchaînés, et qu’ils avaient déchiré de gaieté de cœur par des satires injurieuses et inhumaines ; l’autre fut la fameuse Requête des dictionnaires. C’est ainsi qu’il parle dans son prétendu éloge de M. Ménage ; et vous remarquerez, s’il vous plaît, qu’il ne dit rien de la vie de Mamurra [* 1], qui est un écrit tout autrement considérable que la

  1. * Sallengre explique le silence de Cousin par la brouille qui survint entre lui et Ménage, pour l’épigramme que ce dernier s’était permise sur l’impuissance du président, et que voici :

    Le grand traducteur de Procope
    Faillit à tomber en syncope
    Au moment qu’il fut ajourné
    Pour consommer son mariage.
    Ah ! dit-il, le pénible ouvrage,
    Et que je suis infortuné !
    Moi qui fais de belles harangues,
    Moi qui traduis en toutes langues,
    À quoi sert mon vaste savoir,
    Puisque partout on me diffame
    Pour n’avoir pas eu le pouvoir
    De traduire une fille en femme ?

  1. Guéret, Guerre des Auteurs, pag. m. 137, 138.
  2. Balzac, Epist. select., pag. m. 182.
  3. Feramus, apud Menagium in libro adoptivo, pag. 14.
  4. Citation (20).
  5. Journal des Savans du 11 d’août 1692, pag. 542, édit. de Hollande.