Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T11.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
252
ORIGÈNE.

d’atomes. Le socinien au contraire, dont nous parlons, soutiendrait que les âmes des méchans sont d’une nature à durer toujours après cette vie, et qu’elles ne cessent d’être que parce que Dieu les anéantit en punition de leurs fautes. Les docteurs les plus orthodoxes sur la nature de l’âme conviennent que Dieu la peut anéantir à toute heure. Notez que rien ne peut nous dispenser de cette règle de l’équité naturelle, qu’on ne doit point attribuer à une secte les sentimens de quelques particuliers.

(D) Il y a beaucoup de théologiens dans la communion de Rome qui croient qu’Origène est dans les enfers.] Nous avons déjà vu les plaintes qui furent faites contre Pic de la Mirande qui soutenait un sentiment opposé. Le jésuite Étienne Binet, publiant un livre à Paris, l’an 1629, touchant le salut d’Origène, n’osa se déclarer pour l’affirmative qu’en tremblant. Il prit le parti de donner à cette affaire la forme d’une révision de procès. Il fit ouïr des témoins ; il fit plaider pour et contre, et intervenir les conclusions des gens du roi du ciel. Enfin, il fit prononcer cet arrêt : Vu tout ce qui a été dit de part et d’autre, et les conclusions des gens du roi du ciel, il a été dit, que l’affaire sera appointée au conseil secret de Dieu, et à lui réservée la sentence définitive. Et néanmoins par provision, et au profit d’Origène, a été dit, que tout bien balancé, les preuves qui le sauvent sont plus fortes et mieux concluantes que celles qui le damnent, partant il y a plus d’apparence de le croire sauvé que damné[1]. Les témoins qu’il fait ouïr pour Origène sont Jacques Merlin[2] et Érasme[3] : Les avocats qu’il fait plaider pour le même père, sont Génebrard[4], et Jean Pic de la Mirande[5]. Après cela le grand cardinal Baronius[6] au nom du cardinal Bellarmin, et de tous ceux qui sont contre Origène, harangue les juges pour demander la condamnation de l’accusé, dont il étale les hérésies et les crimes. Voici quelques-unes de ses hérésies : 1o. Que les âmes avaient péché avant qu’elles fussent dans les corps[7] ; 2o. qu’après la résurrection les corps des saints seraient ronds et lumineux comme le soleil[8] 3o. que le soleil, la lune, et les étoiles sont vivantes ; 4o. qu’au jour du jugement les anges gardiens seront châtiés, s’ils n’ont bien fait leur devoir à la garde des hommes commis aux soins de leur charité[9] ; 5o. que devant la création de ce monde il y en avait eu plusieurs autres, et que quand celui-ci serait réduit en poussière, on en créerait plusieurs les uns après les autres[10] ; 6o. que les étoiles sont des livres où l’on trouve la bonne fortune des humains ; que les anges y font l’horoscope des hommes, et y apprennent leur bonne aventure, et qu’ils ont enseigné aux hommes une partie de cette astrologie judiciaire, afin de tirer la nativité d’un homme, sans forcer pourtant le franc arbitre, ni violenter sa volonté[11]. 7o. que la terre est un gros animal capable de bien et de mal[12], et ensuite digne de récompense ou de châtiment ; et de là vient que Dieu la bénit, ou la maudit, selon qu’elle se comporte bien ou mal, et se rend capable de l’un ou de l’autre[13] ; « 8o. qu’après le jour du jugement, les femmes seront transformées en hommes, et les corps humains en âmes très-pures, et que ce ne seront plus hommes composés d’os et de chairs glorieuses ; mais que tous ne seront que des esprits tous purs, et comme des anges du ciel. » La grande raison de Baronius est celle-ci :[14] « Le concile général ne s’est pas contenté à l’ordinaire de condamner sa doctrine, mais a passé

  1. Étienne Binet, du Salut d’Origène, p. 468.
  2. Præfat. ad Origenem, ann. 1512.
  3. In Vitâ Origenis.
  4. In Origen.
  5. Apologia, Q. VII de Salute Origenis.
  6. Binet, pag. 155, le cite, Annal., tom. 3, an. 533, etc.
  7. Binet, pag. 158, ex S. Leone epist. decret. 11.
  8. Là même, pag. 160 et suiv. ex Niceph., l. 17, c. 27, præf. in Conc. 5, Constantinop.
  9. Orig., Hom. 20 in num., apud Binet, pag. 166.
  10. Orig., in c. i, eccl. ex Methodio et Genebr., apud Binet, pag. 168.
  11. Orig. in Genes. Philocal., c. 25, apud Binet, pag. 168.
  12. Confer quæ suprà, remarque (D) de l’article Képler, t. VIII, pag. 552.
  13. Orig. Hom. 4, in Ezech., apud Binet, ibidem.
  14. Binet, pag. 191.