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ORIGÈNE.

jusque-là que de condamner sa personne, et a foudroyé l’anathème sur sa personne propre, et l’a condamné par son nom[* 1], et voici les paroles du saint concile. L’empereur ayant requis, ut cum erroribus suis autor ipse Origenes damnaretur. Le saint concile[* 2] ayant mûrement considéré l’affaire et invoqué l’assistance du Saint-Esprit, enfin prononça ces paroles, ou plutôt ces éclats de tonnerre. En premier lieu, il[* 3] lança dix anathèmes contre la venimeuse doctrine d’Origène, puis passant outre, dit : Anathema etiam ipsi Origeni qui dicitur Adamantius. Il ajouta exprès ce dernier mot, afin qu’on ne crût pas que ce fût de l’autre Origène qu’il parlait, mais de celui qui était le vrai Origène, qu’il couvrait d’anathème, comme un homme perdu, condamné, et damné. » Voyons un trait de l’éloquence de ce temps-là. Binet suppose que Baronius, se prévalant d’une vision qui est rapportée dans le Pré spirituel, parla de cette manière[1] : Faudra-t-il enfin arriver à cette extrémité, que je sois forcé d’ouvrir les enfers, pour vous faire voir qu’Origène y est, autrement on ne le croira pas ? Serait-ce pas assez d’avoir montré son forfait, sa mort malheureuse, l’arrêt de sa condamnation par les empereurs, par les papes, par les saints et par le concile Ve. général, outre les autres, et quasi par la bouche de Dieu même ? mais puisqu’il ne reste plus que de descendre aux enfers pour faire voir ce perdu, et cet Origène damné ; allons, messieurs, je suis content de le faire, pour mener l’affaire jusques au bout, et allons, de par Dieu, en enfer pour voir s’il y est ou non, et pour enfin décider cette affaire. Le saint concile Ve. général[* 4] a cité un livre, et a autorisé en le citant, qu’il était livre digne de fournir de bonnes preuves et valables pour s’en servir à fortifier les décisions du concile au fait des images. Pourquoi ne nous en servirons-nous pas après lui, pour vider ce différent qui n’est déjà d’ailleurs que trop éclairci et vidé ? Là il est dit qu’un bon homme se trouvant en peine sur le salut de l’âme d’Origène, après des ardentes prières d’un saint vieillard, vit ouvertement comme une espèce d’enfer à découvert ; il reconnut là les hérésiarques qu’on lui nomma tous nom par nom, et au milieu il y vit Origène qui était là damné parmi les autres, et chargé d’horreur, de flammes, et de confusion. Rapportons quelque chose de ce qui fut répondu à l’objection qu’on vient de lire. « L’église fonde-t-elle ses canons sur des visions d’un ermite, elle qui enseigne que les visions des particuliers jamais n’obligent personne à les croire, et que jamais on ne fonde un article de foi sur la vision de quelque particulier. De façon que je veux que le Pré spirituel rapporte qu’un bon abbé a vu Origène en enfer : mais est-ce le premier qui a été trompé ? et de quel Origène parle-t-il, du nôtre, ou de celui qui était infâme ? et de quelle autorité est ce livre du Pré spirituel ? Mettons le cas que le VIIe. concile général l’ait cité en quelque chose, comme au fait des images, est-ce à dire pourtant qu’il l’ait canonisé en tout ce qui y est, et combien de simplicités sont dans ce livret, qui semblent ridicules, et que les sages ont de la peine de croire[2]. » Encore ce petit mot : On nous allègue une vision d’un simple abbé, et moi je vous allègue ici une vision d’une grande sainte nommée Mechtilde[* 5], à laquelle Dieu révéla qu’il ne voulait pas que le monde sût ce qu’était enfin devenu Samson, Salomon et Origène, pour donner de la terreur aux plus forts, aux plus sages et aux plus savans de ce monde, les tenant en suspens dans cette incertitude[3].

Notez que Robert de Corcéone, cardinal anglais qui florissait au commencement du XIIIe. siècle, fit un livre sur la question si Origène est sauvé. Baléus en parle.

  1. * Baron., ann. 400, ann. 538, ann. 553.
  2. * 5. Synod.
  3. * Niceph., lib. 17, c. 27, 28, Sur. 11. Janu, Cedren, in Annal. Cassiod. 1. div. inst. Prat. spirit., c. 26. Baron., ann. 532.
  4. * Baron., ann. 532. Mosch., in Prat., c. 26.
  5. * Lib. vitæ Melcht., edit., ann. 1627.
  1. Binet, pag. 195 et suiv.
  2. Binet, pag. 129.
  3. Binet, pag. 219.