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PAULICIENS.

faut donc qu’ils reconnaissent qu’une assistance fournie de Dieu à Adam si à propos, ou tellement conditionnée qu’infailliblement elle eût empêché qu’il ne tombât, se fût très-bien accordée avec l’usage du franc arbitre, et n’eût fait sentir aucune contrainte, ni rien de désagréable, et eût laissé l’occasion de mériter [1].

Voilà donc les défendeurs chassés de tous leurs retranchemens. Diront-ils, pour leur dernière ressource, que Dieu ne doit rien à la créature, et qu’il n’a pas été obligé de lui fournir une grâce nécessitante, ou infaillible ? Mais pourquoi disaient-ils tantôt qu’il a dû avoir des ménagemens pour la liberté humaine ? S’il a dû conserver à l’homme cette prérogative, et s’abstenir d’y toucher, il doit donc quelque chose à son propre ouvrage. Mais laissant là cette instance ad hominem, ne peut-on pas leur répondre que, s’il ne doit rien à la créature, il se doit tout à lui-même, et qu’il ne peut agir contre son essence ? Or il est de l’essence d’une sainteté [2], et d’une bonté infinie et qui peut tout, de ne point souffrir l’introduction du mal moral et du mal physique.

Oui, répliqueront-ils enfin ; mais la chose formée dira-t-elle à celui qui l’a formée, pourquoi m’as-tu ainsi faite [3] ? C’est bien dit, et voilà où il fallait se fixer. C’est revenir au commencement de la lice : il aurait fallu n’en point partir ; car il est inutile de s’engager à la dispute, si après avoir couru quelque temps l’on est obligé de s’enfermer dans sa thèse. Le dogme que les manichéens attaquent, doit être considéré par les orthodoxes comme une vérité de fait, révélée clairement ; puisque enfin il faudrait tomber d’accord qu’on n’en comprend point les causes ni les raisons, il vaut mieux en convenir dès le début, et s’arrêter là, et laisser courir comme des vaines chicaneries les objections des philosophes, et n’y opposer que le silence avec le bouclier de la foi.

(N) Que les hommes sont méchans, et que Dieu est bon. Cela fit naître cette autre demande : d’où peut venir que…. les hommes sont criminels ? ] Daniel Heinsius est le savant homme qui m’apprend ceci [4]. Antiquissima pythagoricorum disputatio, et ab iis potissimùm quos ἀϰουσματιϰὼς (akousmatikôs) vocabant pythagorici, qui tria quærere solebant : Primo, τὸ τί ἐϛι (to ti esti), secundò, τὸ τί μάλιϛα (to ti malista), tertiò, τὸ τί δῶ πράττων (to ti dôprattôn)… [5] In quâ quæstione tota constabat septem sapientûm philosophia, qui nihil aliud quærebant quàm τί μάλιϛα (ti malista). Nec quid bonum sed quid optimum, nec quid difficile sed quid difficillimum. Notum est illud ex Plutarch. Simposyo septem sapientûm…. Sic cùm quæreretur, quid verissimè diceretur, respondebant, ὅτι πονηροὶ οἱ ἄνθρωποι, ὅτι ἀγαθὸς ὁ θεὸς (hoti ponêroi hoi anthrôpos, hoti agathos ho theos) Undè primò manavit πόρισμα (porisma) tale, Τοῦ θεοῦ ἀγαθοῦ ὄντος πόθεν ϰαϰοὶ οί ἄνθροπος. (Tou theou agathou ontos pothen kakoi oi anthropos.) Quod testantur versiculi apud Jamblicum Hippodamantis antiqui poëtæ, qui in laudem hujus quæstionis scribebat :

Ω θεῖοι πόδεν ἐϛὲ, πόθεν τοῖοί δ’ ἐγένεσθε ;
Ἄνθρωπος πόθεν ἐϛὲ ; πόθεν ϰαϰοὶ [illisible] δ’ ἐγένεσθε ;


Undè hoc dimanavit (Theou ta agatha poiountos, pothen ta kaka.), (Theou ta agatha poiountos, pothen ta kaka.)Θεοῦ τὰ ἀγαθὰ ποιοῦντος, πόθεν τὰ ϰαϰά. (Theou ta agatha poiountos, pothen ta kaka.) Heinsius dit tout cela dans ses notes sur une dissertation que j’ai citée ci-dessus, et dont j’ai donné le titre [6]. Il ajoute que Maxime de Tyr, l’auteur de cette dissertation, a examiné cette matière à cause d’une doctrine de Platon sur trois attributs de Dieu [7] : 1°. que Dieu est bon essentiellement et la bonté même ; 2°., qu’il est immuable ; 3°., qu’il est la vérité même. Le premier attribut signifie, non-seulement que Dieu est bon, mais aussi qu’il produit le bien, puisqu’il est l’idée du bien, et que l’idée du bien est la cause qui produit le bien. Or, parce que les platoniciens assuraient que toute idée est Dieu, ils ne reconnaissent point d’idée du mal, ni par conséquent de cause du mal. De

  1. À l’égard de la raison fondée sur ce qu’il fallait laisser à l’homme les moyens de mériter la récompense, voyez, dans ce volume, pag. 257, l’article Origène, remarque (E), num. I, vers la fin.
  2. C’est-à-dire qu’il le semble ainsi aux lumières de notre faible raison.
  3. Épîtres aux Romains, chap. IX, vs. 20.
  4. Dan. Heinsius, Notis in Maximum Tyrium, pag. 106.
  5. J’ai sauté ce qui est ici dans l’original, je l’ai trouvé en désordre, et je conjecture que les imprimeurs y supprimèrent plusieurs lignes.
  6. Dans la remarque (L), citation (109).
  7. In lib. II, de Republicâ.