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PÉRICLÉS.

superstitieuses, et qui espérait tranquillement les faveurs célestes. Οὐ μόνον δὲ ταῦτα τῆς Ἀναξαγόρου συνουσίας ἀπέλαυσε Περικλῆς. ἀλλὰ καὶ δαισιδαιμονίας δοκεῖ γενέσθαι καθυπέρτερος, ὅση πρὸς τὰ μετέωρα θάμϐος ἐργάζεται τοῖς αὐτῶν τε τούτων τὰς αἰτίας ἀγνοοῦσι, καὶ περὶ τὰ θεῖα δαιμονῶσι καὶ ταραττομένοις δἰ ἀπειρίαν αὐτῶν. ἣν ὁ ϕυσικὸς λόγος ἀπαλλάττων, ἀντὶ τῆς ϕοβερᾶς καὶ ϕλεγμαινούσης δεισιδαιμονίας, τὴν ἀσϕαλῆ μετ᾽ ἐλπίδων ἀγαθῶν εὐσέϐειαν ἐνεργάζεται. Nec verò hunc solum fructum tulit Pericli Anaxagoræ usus, verùm omni etiam liberavit eum superstitione, quæ terrorem ex rebus æthereis imprimit ignorantibus earum causas, et iis qui rerum divinarum metu pavent, percellunturque rudes earum : quem eximens naturalis ratio, pro terrificâ et æstuante superstitione, securam inserit cum bonâ spe religionem [1].

Ce que Plutarque raconte ensuite de ces paroles, mérite d’être allégué. On apporta un jour à Périclès une tête de belier où il n’y avait qu’une corne. Ce belier était né dans une maison de campagne de Périclès. Le devin Lampon déclara que c’était un signe que la puissance des deux factions qui étaient alors dans Athènes [2], tomberait toute entre les mains de la personne chez qui ce prodige était arrivé. Anaxagoras s’y prit d’une autre manière. Il fit la dissection de ce monstre, et y trouvant le crâne plus petit qu’il ne devait être, et d’une figure ovale, il expliqua la raison pourquoi ce belier n’avait qu’une corne, et pourquoi elle était née au milieu du front. (On admira cette méthode de donner raison des prodiges ; mais quelque temps après on admira Lampon, quand on vit abattue la faction de Thucydide, et toute l’autorité entre les mains de Périclès. L’historien dit là-dessus que le devin et le philosophe pouvaient être tous deux fort raisonnables ; l’un pour avoir deviné l’effet, l’autre pour avoir deviné la cause. C’était l’affaire du philosophe, ajoute-t-il, d’expliquer d’où, et comment cette corne unique s’était formée ; mais c’était le devoir du devin de déclarer pourquoi elle avait été formée, et ce qu’elle présageait. Car ceux qui disent que dès que l’on trouve une raison naturelle, on anéantit le prodige, ne prennent point garde qu’ils détruisent les signes artificiels aussi-bien que les célestes. Les fanaux que l’on allume sur les tours, les cadrans solaires, etc., dépendent de certaines causes qui agissent selon certaines règles ; et néanmoins ils sont destinés à signifier certaines choses. Voilà ce qui se peut dire de plus spécieux et de plus fort en faveur du dogme vulgaire qu’Anaxagoras voulait combattre. Afin qu’un phénomène de la nature soit un prodige, ou un signe de quelque mal à venir, il n’est point du tout nécessaire que les philosophes n’en puissent donner aucune raison ; car quoiqu’ils le puissent expliquer par les vertus naturelles des causes secondes, il est très-possible qu’il ait été destiné à présager. N’explique-t-on point par des raisons naturelles la lumière des fanaux ? Cela peut-il empêcher qu’ils ne soient un signe de la route quels pilotes doivent prendre ? Avouons donc que Plutarque a soutenu l’opinion commune aussi doctement qu’on la puisse soutenir. La cause efficiente trouvée n’exclut point la cause finale, et la suppose même nécessairement dans toute action dirigée par un être qui a de l’intelligence. Sur quoi donc se fondent les philosophes, quand ils soutiennent que les éclipses, étant une suite naturelle du mouvement des planètes, ne peuvent pas être un présage de la mort d’un roi, et que le débordement des rivières, étant un effet naturel des pluies, ou de la fonte des neiges, ne peut pas être un présage d’une sédition, d’un détrônement, ou de tels autres malheurs publics ? Je réponds à cette demande, qu’ils se fondent sur ce que les effets de la nature ne peuvent être des pronostics d’un événement contingent, à moins qu’une intelligence particulière ne les destine à cette fin. Il est visible que les lois de la nature, laissées dans leur progrès général, n’auraient jamais élevé des tours, n’auraient jamais allumé des feux sur ces tours pour l’utilité des pilotes. Il a fallu que des hommes s’en soient mêlés ;

  1. Plutarchus, in Pericle, pag. 154, E.
  2. Celle de Périclès et celle Thucydide, fils de Milésius.