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PÉRICLÈS.

il a fallu que leurs volontés particulières aient appliqué la vertu des corps d’une certaine façon, qui se rapportât à la fin qu’ils se proposaient. D’autre côté, il est visible que les lois de la nature, laissées dans leur progrès général, ne sauraient produire des météores, ou un débordement de rivières qui avertissent les habitans d’un royaume, qu’au bout de deux ou trois ans il s’élèvera une sédition qui renversera la monarchie de fond en comble. Il est visible qu’il faut qu’une intelligence particulière forme ou ces météores, ou ces grandes inondations, afin que ce soient des signes du changement du gouvernement. Or, dès là, ce sont des choses dont la physique ne peut point donner de raison ; car ce qui dépend des volontés particulières de l’homme, ou de l’ange, n’est point l’objet d’une science : la philosophie n’en peut point marquer les causes. D’où il s’ensuit, 1o., qu’un événement dont la physique donne raison, n’est point un présage de l’avenir contingent, et qu’un tel présage n’est point une chose qu’on puisse expliquer par les lois de la nature. Afin donc que Plutarque puisse dire raisonnablement, que le devin et le philosophe rencontrèrent bien, l’un la cause finale, l’autre la cause efficiente, il faut qu’il suppose qu’un esprit particulier disposa de telle sorte le crâne de ce bélier, que le cerveau se rétrécissant et aboutissant en pointe vis-à-vis du milieu du front, ne produisit qu’une corne qui sortit par cet endroit-là. Il faut aussi qu’il suppose que cet esprit modifia de cette façon le cerveau de ce belier, afin que la ville d’Athènes fût avertie que la faction de Périclès opprimerait la faction de Thucydide, et qu’elle obtiendrait seule tout le pouvoir. Mais cette supposition étant contraire aux idées qui nous apprennent qu’il n’y a que Dieu qui connaisse les événemens contingens, ne peut être admise, et ainsi l’on ne saurait adopter le dogme vulgaire des présages, sans reconnaître que Dieu produit par miracle, et par une volonté particulière, tous les effets naturels que l’on prend pour des pronostics. Selon cette proposition, les miracles proprement dits, seraient presque aussi fréquens que les effets naturels : absurdité prodigieuse ! N’oubliez pas que si Dieu eût voulu faire un miracle, pour avertir les Athéniens que l’une de leurs cabales serait éteinte, il n’aurait pas eu besoin d’étrécir le crâne de ce belier. Il eût produit une corne au milieu du front sans rien changer dans le cerveau, et cela eût mieux marqué le prodige. Quoi qu’il en soit, j’espère qu’on ne trouvera pas mauvais que j’aie un peu réfléchi sur une pensée de Plutarque, assez spécieuse pour être capable de sembler solide à la plupart des lecteurs.

(B) .... Et à donner une cause des éclipses, qui rendit une fois beaucoup de service aux Athéniens. ] Rapportons un passage de Plutarque : il concerne une expédition navale, au commencement de la guerre du Péloponnèse. « Comme il fut prest à faire voile estant ja tous ses gens embarquez, et luy mesme monté dedans la galere capitainesse, il advint que le soleil éclipsa soudainement, et le jour faillit : ce qui effroya merveilleusement toute la compagnie, comme si c’eust esté un fort sinistre et dangereux présage. Parquoy Pericles voyant le pilote de sa galere tout esperdu, et ne sachant qu’il devoit faire, estendit son manteau, et luy en couvrit les yeux, puis luy demanda si cela lui sembloit mauvaise chose. Le pilote luy respondit que non : et adonc, lui dit Pericles, il n’y a autre difference entre cecy et cela, sinon que le corps qui fait ces tenebres est plus grand que mon manteau qui te bouche les yeux [1]. » Quintilien observe que Périclès délivra alors d’une grande crainte les Athéniens, An verò cùm Pericles Athenienses solis obscuratione territos, redditis ejus rei causis, metu liberavit : aut cùm Sulpitius ille Gallus in exercitu L. Pauli de lunæ defectione disseruit, ne velut prodigio divinitùs facto militum animi terrerentur, non videtur esse usus oratoris officio [2] ? Valère Maxime ne suppose pas comme Plutarque que Périclès fût sur la flotte ;

  1. Amyot, dans la traduction de la Vie de Périclès, pag. 615, 616 de l’édition de Vascosan, 1567, in-8o.
  2. Quintil., Instit. Orator., lib. I, cap. X, pag. m. 55.