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PÉRICLÈS.

me de Stésimbrotus, s’écrie qu’il est malaisé de parvenir à la vérité. Les auteurs contemporains l’étouffent ou la pervertissent, les uns par haine et par jalousie, les autres par amitié et par un esprit flatteur. Ceux qui viennent après eux rencontrent le temps passé, comme une barrière qui les exclut de la connaissance des véritables événemens. Οὕτως ἔοικε πάντη χαλεπὸν εἶναι καὶ δυσθήρατον ἱςορίᾳ τἀληθὲς, ὅταν οἱ μὲν ὕςερον γεγονότες τὸν χρόνον ἔχωσιν ἐπίπροσθεν ὄντα τῇ γνώσει τῶν πραγμάτων, ἡ δε τῶν πράξεων καὶ τῶν βίων ἡλικιῶτις ἱςορία, τὰ μὲν ϕθόνοις καὶ δυσμενείαις, τὰ δὲ χαριζομένη καὶ κολακεύουσα, λυμαίνηται καὶ διαςρέϕῃ τὴν ἀλήθειαν. Tantæ molis est et difficultatis assequi ex historiâ veritatem, quùm posteriores, antequàm cognoscant res, præveniantur tempore : æqualis rerum gestarum et hominum historia partim invidiâ et odio, partim gratiâ et adulatione opprimat et pervertat veritatem [1]. Plutarque connaissait par expérience ces difficultés. Il a été obligé de dire que la cause de la guerre du Péloponnèse n’est guère connue [2]. Qu’est-ce qui le sera donc ? La raison pourquoi cette cause était obscure a lieu en mille occasions. La gloire et la puissance de Périclès le rendaient odieux, et de là vint que les médisans inventèrent cent mensonges contre lui. Ils voulurent à toute force lui imputer les malheurs de cette guerre : les uns inventèrent ceci, les autres cela. À quoi voulez-vous qu’un lecteur se détermine, au milieu de tant de médisances ? Dès qu’on le vit exposé à la haine de la multitude, il s’éleva plusieurs esprits satiriques qui sacrifièrent à cette haine, comme à un mauvais génie, les victimes qu’ils jugèrent les plus convenables : Καὶ τὶ ἄν τις ἀνθρώπους σατυρικοὺς τοῖς βίοις καὶ τὰς κατὰ τῶν κρειττόνων βλασϕημίας ὥσπερ δαίμονι κακῷ τῷ ϕθόνῳ τῶν πολλῶν ἀποθύοντας ἑκάςοτε, θαυμάσειεν. Et quidem quis miretur, petulanti homines linguâ, si maledicta in principes invidiæ multitudinis, tanquàm malo dæmonio, assiduè consecraverint [3]. Or ils n’en trouvèrent point de plus propres que les injures qui le diffamaient. Je sais bon gré à Plutarque du peu d’égard qu’il a eu aux prétentions des Mégariens [4], quoiqu’elles fussent appuyées du témoignage d’Aristophane. Ils étaient partie dans cette affaire contre Périclès, et l’on peut dire d’Aristophane et de tous les poëtes comiques de ce temps-là, ce que l’on a dit depuis peu d’un auteur moderne [5], qu’ils ne sont capables que de faire douter des vérités les plus claires quand ils les avancent. Si Plutarque vivait aujourd’hui, il assurerait que notre postérité aura mille peines à discerner les histoires véritables de notre temps ; car on publie tant de faussetés, et l’on offre tant de victimes au mauvais démon de la haine et de l’envie des peuples, que si les satiriques d’Athènes revenaient au monde, ils se regarderaient comme des novices. D’ailleurs on publie tant d’éloges, que les flatteurs de ce pays-là, s’ils ressuscitaient, seraient convaincus qu’ils n’ont été que des écoliers.

Je me souviens d’un très-beau passage de Plutarque où Périclès est mêlé [6]. Quand on est certain d’un fait, mais non pas de l’intention de l’auteur, c’est une conduite méchante et maligne, que de diriger ses conjectures vers le côté des mauvais motifs. C’est ce qu’ont fait les poëtes comiques : ils ont assuré que Périclès alluma la guerre du Péloponnèse pour l’amour de la courtisane Aspasie, et à cause de Phidias, et nullement par la noble et la courageuse ambition d’abattre le faste des Péloponnésiens, et de ne céder quoique ce soit à ceux de Lacédémone [7]. Ceux qui, ne pouvant disconvenir qu’une action ne soit louable, fouillent dans les intentions du cœur, et supposent qu’elles

  1. Idem, ibidem, pag. 160, E.
  2. Ibidem, pag. 169, A.
  3. Idem, pag. 160, D.
  4. Ils disaient que l’enlèvement de deux garces d’Aspasie avait engagé Périclès à cette guerre. Voyez ci-dessous la remarque (O).
  5. De l’auteur de l’Esprit de M. Arnauld. Voyez l’article Arnauld (Antoine), docteur de Sorbonne, tom. II, pag. 415, citation (64).
  6. Plut., de Herodoti malignitate, p. 855, F.
  7. Amyot a fort mal traduit. Là où au contraire, dit-il, ce n’avoit esté ni par ambition ni par opiniastreté, ains plustost pour rabatre l’orgueil des Peloponnesiens, et ne ceder en rien à ceux de Lacedemone. Il y a au grec, pag. 856, A. οὐ ϕιλοτιμίᾳ τινὶ καὶ ϕίλονεικίᾳ, μᾶλλον εἰς τὸ ῥῆξαι τὸ ϕρόνημα Πελοπονησίων, καὶ μηδενὸς ὑϕεῖσθαι Λακεδαιμονίων ἐθέλήσαντος.