Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T11.djvu/621

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
603
PÉRICLÈS.

Γενοῦ τῷ ἀτυχοῦντι θεὸς, τὸν ἔλεον θεοῦ μιμησάμενος· οὐδὲν γὰρ οὕτως, ὡς τὸ εὖ ποιεῖν, ἄνθρωπος ἔχει θεοῦ. Esto misero Deus dei misericordiam imitando. Nihil enim tam ex Deo habet mortalis quàm ut beneficia largiatur [1].

Strabon a limité cette pensée : il veut que la vie heureuse, c’est-à-dire celle qu’on passe à des jours de fêtes, à se réjouir, à philosopher, et à chanter, soit une meilleure imitation de la nature divine que n’est la distribution des bienfaits. Ses paroles méritent d’être rapportées. Εὖ̓͂ μὲν γὰρ εἴρηται καὶ τοῦτο, τοὺς ἀνθρώπους τότε μάλιςα μιμεῖσθαι τοὺς θεοὺς, ὅταν εὐεργετῶσιν· ἄμεινον δ ̓ ἂν λέγοι τις ὅταν εὐδαιμονῶσι· τοιοῦτον δὲ τὸ χαίρειν, καὶ τὸ ἑορτάζειν, καὶ τὸ ϕιλοσοϕεῖν, καὶ μουσικῆς ἅπτεσθαι. Benè quidem dictum est, homines maximè Deum imitari, cùm beneficia conferunt : rectiùs autem diceretur, cùm feliciter vivunt : id autem fit gaudendo, dies festos agitando, philosophando, musicam tractando [2].

J’ai lu dans le Voyage du chevalier Drach, que les habitans de la Nouvelle-Albion prenaient les Anglais pour des dieux, et qu’ils leur rendaient les honneurs divins, parce que leur montrant leurs plaies, ils en recevaient des emplâtres et des onguens qui les guérissaient. Les Espagnols, au contraire, furent pris pour des dieux dans l’Amérique, à cause du mal qu’ils faisaient par leurs canons. On prit leur navire pour un oiseau qui les eût portés du ciel en terre [3]. Cela montre que deux choses opposées font connaître Dieu à l’homme : l’une est le pouvoir qu’il a de faire le mal, et qu’il exerce si sévèrement ; l’autre est la bonté avec laquelle il répand mille bienfaits sur le genre humain. On pourrait mettre en question, si l’une de ces deux choses le fait mieux connaître que l’autre. Tacite prétend que les dieux ont plus à cœur de punir l’homme que de le laisser en repos. Nec enim unquam, dit-il [4], atrocioribus populi romani cladibus magisve justis judiciis approbatum est, non esse curæ deis securitatem nostram, esse ultionem. Un journaliste soutient que les effets de la bonté sont plus étendus que les effets de la punition. Voici ces paroles : De toutes les vertus de Dieu, c’est la bonté qui serait la plus visible, si les hommes se servaient de réflexion. Quelle bonté n’est-ce pas d’avoir attaché du plaisir à toutes les actions nécessaires, et de nous avoir rendus susceptibles du plaisir en une infinité de façons ? On a beau dire que nous sommes encore plus susceptibles du chagrin et de la douleur, cela n’est pas vrai ; et quand cela serait vrai, nous ne devrions pas pour cela méconnaître la grande bonté de Dieu, puisqu’il nous serait aisé de voir que les plaisirs dont nous jouissons viennent des lois qu’il a posées dans la nature, et qu’au contraire la plupart de nos chagrins viennent du mauvais usage que nous faisons de notre raison. Mais il n’est pas vrai que, dans ce monde, l’homme souffre plus de maux que de biens, [* 1] c’est notre ingratitude, notre orgueil, et notre humeur insatiable qui nous fait parler de la sorte. Falsò queritur de naturâ suâ genus humanum, a fort bien dit un célèbre historien dans la préface de la Guerre de Jugurtha. Le genre humain est plus heureux qu’il ne mérite ; et il est vrai au pied de la lettre que pour une douleur l’homme sent mille plaisirs, excepté peut-être un petit nombre d’âmes malheureuses, qu’un païen assurerait avoir été produites par les destinées dans quelque moment de dépit [5]. Notez en passant que la différence qu’il observe, et qu’il fonde sur les suites du mauvais usage que nous faisons de la liberté, ne pourrait pas contenter des adversaires difficiles ; car ils diraient que cela même, que l’homme abuse de sa raison pour se chagriner mal à propos, est un grand malheur, et doit être mis nécessairement dans le partage des afflictions, de sorte que

  1. * Joly trouve que Bayle (qui ici se cite lui-même) est en contradiction avec ce qu’il a dit à la fin de la remarque (H) de l’article Mélanchthon. tom. X, et dans la remarque (D) de l’article Xénophanes, tom. XIV.
  1. Nazianz., orat. de Amore Pauperum.
  2. Strabo, lib. X, pag. 322.
  3. Voyez la Mothe-le-Vayer, Discours de l’Histoire.
  4. Tacit., Hist., lib. I, cap. III.
  5. Nouvelles de la République des Lettres, août 1684, article VI, pag. m. 603, 604.