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PÉRICLÈS.

qu’on louait Jupiter. Sed ipsa Jupiter, id est juvans pater, quem conversis casibus appellamus à juvando Jovem, à poëtis pater divûmque, hominumque dicitur ; à majoribus autem nostris Optimus, Maximus, et quidem antè Optimus, id est beneficentissimus, quam Maximus : quia majus est, certèque gratius prodesse omnibus, quàm opes magnas habere [1]. Consultez la remarque (G) de l’article Jupiter. Plutarque rapporte que le roi Amasis ayant à résoudre plusieurs questions où l’on cherchait le superlatif, je veux dire le souverain degré des choses, par exemple qu’est-ce qu’il y a de plus ancien, de plus grand, de plus sage, de plus beau, de plus commun, de plus utile, de plus pernicieux [2], répondit, quant aux deux derniers articles, Dieu et le Démon. Τί ὠϕελιμώτατον ; θεός. Τί βλαβερώτατον ; δαίμων. Quid utilissimum ? Deus. Quid damnosissimum ? Genius [3]. Pour le dire en passant, voilà le dogme des deux principes, et même ce que les chrétiens disent du diable ou du démon. Je ne sais si l’on a pris garde à ces paroles, ou à cette idée du δαίμων des anciens. Je reprends le fil. Le philosophe Antipater définissait Dieu un animal heureux, immortel et bon à l’homme [4]. Il n’y avait point de gens qu’on fût si enclin à déifier que ceux qui étoient les inventeurs des choses utiles. Persæus ejusdem Zenonis auditor, eos dicit esse habitos Deos, à quibus magna utilitas ad vitæ cultum esset inventa, ipsasque res utiles et salutares Deorum esse vocabulis nuncupatas : ut ne hoc quidem diceret, illa inventa esse Deorum, sed ipsa divina [5]. C’était le chemin de l’apothéose, si l’on en croit Pline : Deus est mortali juvare mortalem, et hæc ad æternam gloriam via. Hâc proceres iêre Romani : hâc nunc cælesti passu cum liberis suis vadit maximus omnis œvi rector Vespasianus Augustus, fessis rebus subveniens. Hic est vetustissimus referendi benè merentibus gratiam mos, ut tales numinibus adscribantur. Quippè et omnium aliorum nomina eorum, et quæ suprà retuli siderum, ex hominum nata sunt meritis [6]. D’autres, tournant la chose d’une manière plus raisonnable, disaient que les dieux avaient inspiré à l’homme l’invention des arts.

Κεῖνοι γὰρ τέχνας πολυκερδέας ἀνθρώποισι
Δῶκαν ἔχειν, καὶ πᾶσαν ἐπιϕροσύνην ἐδίδαξαν.

Illi etiam artes multùm lucrosas hominibus
Dederunt habere, et omnem solertiam docuerunt [7].


Enfin, on disait que la meilleure méthode d’imiter les dieux était de faire du bien [8], et que jamais l’homme ne s’approchait davantage de la nature divine que lorsqu’il sauvait un homme. Homines ad deos nullâ re propiùs accedunt, disait Cicéron à Jules César, vers la fin de l’oraison pour Ligarius, quàm salutem hominibus dando. Nihil habet nec fortuna tua majus, quam ut possis, nec natura tua melius, quàm ut velis conservare quam plurimos. Voici ce que les Scythes représentent à Alexandre : Si tu es un dieu, tu dois faire du bien aux hommes, et non pas leur ôter ce qu’ils possèdent. Si deus es, tribuere mortalibus beneficia debes, non sua eripere [9]. La bonne théologie s’accorde avec toutes ces idées des anciens païens. Il y a cent passages de l’Écriture qui témoignent que Dieu est infiniment plus porté à user de miséricorde qu’à se servir de rigueur. Joignez à cela les belles paroles de Grégoire de Nazianze, qui nous apprennent que l’homme devient un dieu à son prochain misérable, lorsqu’il le soulage.

  1. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. II, cap. XXV.
  2. Conférez ce que dessus, au texte de l’article Pauliciens, dans ce volume, pag. 476, vers la fin, et citation (133), pag. 508.
  3. Plut., in septem Sapientûm Convivio, pag. 153, A.
  4. Ζῶον μακάριον καὶ ἄϕθαρτον καὶ εὐποιητικὸν ἀνθρώπων. Plut. de Repug. Stoic., pag. 1051.
  5. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. I, cap. XV. Virgile, Æn., lib. VI, vs. 663, s’est contenté de les placer aux champs Élysées.

    Inventas aut qui vitam excoluere per artes
    Quippè suî memores alios fecêre merendo.

  6. Plin., lib. II, cap. VII, p. m. 143, 144.
  7. Oppian., lib II, Ἁλιευτικῶν.
  8. Strabo, lib. X, pag. m. 322 : je rapporte ses paroles ci-dessous, citation (85).
  9. Q. Curtius, lib. VII, cap. VIII, num. 26. Voyez Freinshémius, ibidem, rapportant plusieurs sentences semblables.