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PÉRICLÈS.

et plus nettement, je la préférai à celle que le docte Henri Valois a suivie. Peut-être ai-je eu tort.

(M) L’erreur de Valère Maxime nous donnera lieu de mettre ici un aphorisme de politique. ] Il dit qu’Aristophane, dans l’une de ses comédies, introduit Périclès revenant des enfers, et déclarant qu’il ne faut pas nourrir le lion, mais que si on le nourrit, et si on le laisse croître, il faut lui obéir. Aristophanis quoque altioris est prudentiæ. præceptum, qui in comœdiâ introduxit remissum ab inferis Atheniensem Periclem vaticinantem, non oportere in urbe nutriri leonem ; sin autem sit alitus, obsequi ei convenire. Monet enim, ut præcipuæ nobilitatis et concitati ingenii juvenes refrenentur. Nimio verò favore ac profusâ indulgentiâ pasti, quò minùs potentiam obtineant, ne impediantur : quòd stultum sit, et inutile, eas obtrectare vires, quas ipse foveris [1]. C’est Eschyle, et non pas Périclès, qui dit cela dans Aristophane. Voici les vers de ce poëte :

Οὐ χρῆ λέοντος σκύμνον ἐν πόλει τρέϕειν,
Μάλιςα δὲ λέοντα μὴ ᾽ν πόλει τρέϕειν.
Ἢν δ᾿ ἐκτραϕῇ τις, τοῖς τρόποις ὑπηρετεῖν.

Catulum ne alas leonis in republicâ,
Ac maximè ipsum leonem ne alas ibi.
Quòd si quis alitus ; obsequendum moribus [2].


Cette traduction est d’Érasme : il observe que Valère Maxime cite ce passage [3], mais il ne le censure point d’avoir pris Périctès pour Eschylé [4]. Il entend mieux cette sentence que Valère Maxime ne l’a entendue. Celui-ci raisonne de cette façon. Puisque vous avez élevé un homme, vous devez considérer sa puissance comme votre ouvrage : vous seriez donc fous si vous tâchiez de la détruire, et même vous ne pourriez pas en venir à bout. Ce raisonnement est pitoyable. Ce ne fut jamais la pensée du poëte grec. Il voulait dire sans doute, que pour éviter les malheurs qui naissent de l’opposition que l’on veut former à une puissance que l’on a trop laissé : croître, il vaut mieux céder au torrent. Admonet ænigma, ce sont les paroles d’Érasme [5], non esse fovendam potentiam quæ leges posset opprimere : quòd si fortè talis quispiam extiterit, non esse è rep. decertare cum illo, quem nequeas nisi magno reip. malo devincere. Tyrannus aut ferendus est, aut non recipiendus. On fait une grande faute dans les républiques, quand on laisse parvenir à une trop grande autorité un sujet factieux et entreprenant. Mais c’est une faute encore plus grande de s’opposer à cet homme, après qu’on l’a laissé devenir le maître. Il y a cent abus qu’on doit empêcher de s’introduire ; mais quand ils se sont fortifiés, c’est bien souvent un moindre mal de les tolérer que d’en entreprendre la réformation : Ceux qui l’entreprennent font presque toujours comme Sylla : ils se servent d’un remède pire que le mal [6]. Un historien a dit avec beaucoup de bon sens, qu’il eût mieux valu laisser en repos la république malade et blessée, que de la remuer pour lui faire prendre des remèdes, et pour mettre un appareil à ses plaies. Expediebat quasi ægræ sauciæque reipublicæ requiescere quomodocunquè, ne vulnera curatione ipsâ rescinderentur [7]. Je pourrais citer cent choses sur les inconvéniens de certains remèdes qu’on veut apporter aux maux publics, mais cela sentirait trop la recherche des lieux communs.

(N) La réponse de Périclés à la sœur de Cimon fait connaître qu’il avait l’esprit présent. ] Il y avait une grande opposition d’intérêts et de parti entre Cimon et Périclès. Celui-ci devint supérieur à l’autre, et le fit bannir [8]. Ce ne fut pas son seul avantage, il contribua au rappel de Cimon. Cette marque de crédit, pour faire les choses et pour les défaire, ne fit qu’augmenter la jalousie dans la famille de Cimon : les victoires de

  1. Valer. Maximus, lib. VII, cap. II, n. 7 in Externis.
  2. Aristophanes, in Ranis, act. V, sc. IV, pag. m. 264.
  3. Erasmus, adag, LXXVII, chil. II, cent. III, pag. m. 451.
  4. Leopardus, Emendat., lib. VIII, cap. XII, et Pighius, Comment. in hunc locum Val. Maximi, en censurent Valère Maxime.
  5. Erasmus, adag. LXXVII, chil. II, cent.

    III, pag. m. 451.

  6. Ingratus L. Sylla, qui patriam durioribus remediis quam pericula erant, sanavit. Seneca, de Beneficiis, lib. V, cap. XVI.
  7. Florus, lib. III, cap. XXIII. Voyez les Lettres de Balzac à Chapelain, pag. 107.
  8. Plut., in Pericle, pag. 155.