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PÉRICLÈS.

N’avait-il pas oublié son exactitude ordinaire, puisque voulant soutenir que ϕθόνος et νέμεσις sont aussi vicieuses l’une que l’autre parmi les hommes, il a confirmé sa pensée par la doctrine de ce philosophe ? Je dis en 4e. lieu, qu’il a grand tort d’assurer que lorsque l’envie ou telles autres imperfections sont attribuées à Dieu, elles perdent ce qu’elles ont de vicieux, et qu’il faut les interpréter favorablement. Cela ne doit point s’étendre jusques aux imperfections morales, ou jusques à cette espèce de défauts que nous jugeons incompatibles avec l’honnête homme. Telle est la fraude, la cruauté, la trahison, et cette espèce d’envie lâche, qui ne peut souffrir la prospérité de personne, et qui porte à persécuter tout ce qui excelle. Tous les blasphèmes des poëtes, et tous les dogmes impies sur quoi les cultes de la religion païenne étaient fondés, et que les pères de l’église réfutent très-solidement, seraient excusables si la maxime de M. de Valois était reçue. Rejetons-la donc, et ne nous amusons pas à interpréter au sens figuré les expressions d’Hérodote. Disons plutôt qu’il a pris le terme d’envie dans un sens odieux. Il faut juger de cela comme des murmures que les païens répandaient contre le ciel dans leurs disgrâces. Le mal qu’ils disaient de la Fortune, la cruauté dont ils accusaient les dieux, s’entendaient non dans un sens allégorique, mais dans un sens littéral : ils prétendaient les offenser en paroles, comme ils prétendaient les offenser en actions quand ils lapidaient des temples : le peuple romain purifiait-il l’idée de cruauté, la dépouillait-il de quelque chose de vicieux, quand il murmurait contre la Fortune au temps du triomphe de Paul-Émile ? Servons-nous des paroles de Plutarque, qui suivent immédiatement celles qu’on a vues ci-dessus [1]. Elles concernent proprement la déesse Némésis, où cette prétendue vertu divine qu’Hérodote appelait envie. « Ce que je dis, pour autant qu’Æmylius avoit quatre fils, deux qu’il avoit donnez à adopter en autres familles....... et deux autres qu’il avoit eus d’une seconde femme, lesquels il retenoit pour lui en sa maison, et estoyent encore tous deux fort jeunes, dont l’un mourut en l’aage de quatorze ans, cinq jours avant le triomphe de son pere, et l’autre mourut aussi trois jours après la pompe du triomphe, en l’aage de douze ans : tellement qu’il n’y eust si dur cœur en toute la ville de Rome, à qui ce grand accident ne fist pitié, et à qui ceste cruauté de la fortune ne fist frayeur et horreur, et ayant esté si importune, que de mettre en une maison triomphale, pleine d’honneur et de gloire, de sacrifices et de liesse, un si piteux dueil, et mesler des regrets et des lamentations de mort parmi les cantiques de triomphe et de victoire. » Il est si vrai qu’on prenait le mot d’envie au sens littéral le plus odieux, qu’il se trouva des gens sages qui, pour s’opposer à cette impiété, se mirent à dire nettement et expressément que les dieux n’étaient point sujets à cette passion. Nous avons vu ci-dessus [2] la remarque d’un célèbre platonicien, et nous voyons dans Stobée quatre vers de Phocylide qui déclarent qu’il n’y a aucune envie parmi les dieux ἄϕθονοι οὐρανίδαι, etc. 5e. Je dirai en dernier lieu, que Plutarque ne peut pas être complice de la faute d’Hérodote, puisqu’il n’a parlé qu’en doutant : il se sert d’un si, il se borne à un certain dieu dont la commission particulière, ou le partage, serait de traverser le bonheur de l’homme. Mais Hérodote affirme que tous les dieux sont jaloux et turbulens. Concluons que l’entreprise de Henri Valois de justifier Hérodote, et de repousser la censure de Plutarque, n’a pas été fort heureuse.

Il a donné [3] à un passage d’Hérodote un tout autre sens que moi. J’en avertis ici mon lecteur, et j’avoue que sa traduction est plus littérale que celle de Laurent Valla, que j’ai suivie [4]. J’avais quelque scrupule de m’en servir, mais considérant un côté qu’Henri Étienne ne l’a point critiquée, et de l’autre qu’elle fait raisonner Hérodote plus finement

  1. A près la citation (132).
  2. Citation (110) de l’article Pauliciens, dans ce volume.
  3. Ci-dessus, citation (128).
  4. Dans l’article d’Artaban, fils d’Hystaspe, tom. II, pag. 448, citation (7).