Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
228
DISSERTATION

plus aisé que de compiler des fautes, et qu’on n’a pas même besoin de beaucoup de temps pour ces sortes de compilations, puisqu’on n’a qu’à copier les censures que les auteurs ont faites les uns des autres ; je n’ai pas peur, dis-je, qu’un homme aussi éclairé que vous me propose ce raisonnement. Vous savez trop bien, monsieur, qu’il n’y a point de procès où il soit plus nécessaire d’entendre les deux parties, que dans ceux qui s’élèvent entre les gens doctes. Fou qui se fie aux remarques des agresseurs : la prudence veut que l’on attende ce qui leur sera répondu, et ce qu’ils répliqueront. Je n’en demande pas davantage ; je sais que la patience des lecteurs ne va pas ordinairement si loin ; mais pour un dessein comme celui-ci, ce n’est pas trop à l’égard de bien des choses, que de comparer ensemble quatre écrits publiés successivement, deux par la personne attaquée, et deux par la personne attaquante, et j’ose même dire que, sur certains faits, cela n’est pas suffisant. On m’accordera qu’il y a bien des censeurs qui font plus de fautes qu’ils n’en corrigent [a] ; on m’avouera pour le moins que les plus savans donnent lieu d’être censurés à leur tour. C’est ce qu’on a reproché à Casaubon, par rapport à sa critique de Baronius. Les uns lui ont fait ce reproche assez doucement [b] : les autres d’une manière fort outrée, quoique l’on ne puisse disconvenir de je ne sais quelle fatalité qui fut cause que cette critique, très-bonne et très-savante d’ailleurs, fit plus de tort que de bien à la réputation de celui qui la composa. Mais enfin je ne voudrais que cet exemple pour montrer qu’après avoir lu la critique d’un ouvrage, il faut suspendre son jugement jusques à ce que l’on ait vu ce que l’auteur critiqué ou ses amis auront à dire. Ceux qui prennent pour faute tout ce qui est censuré par l’agresseur, et pour vrai tout ce qu’il ne combat pas, voient souvent par la suite qu’ils ont été la dupe de cet écrivain ; car on leur montre qu’il a condamné de bonnes choses, et qu’il n’a point condamné ce qui était condamnable, et que de son côté il a commis beaucoup de bévues. Un auteur, très-sensible d’ailleurs à la censure, prendra le parti de se critiquer lui-même, lorsqu’il croire faire dépit à ses censeurs en leur montrant qu’ils ont ignoré que telles et telles choses devaient être censurées. Je vous en alléguerais des exemples, si je ne savais qu’ils vous sont assez connus, avec la ré-

    l’an 1689, et par les Exercitationes Sam. Basnagii Flottemanvillei, imprimées à Utrecht, in-4°., l’an 1692.

  1. Sæpè in judicando majus est peccatum judicii quàm peccati illius de quo fuerat judicatum. Ambrosius in Psalm. L.
  2. M. Godeau, par exemple, dans la Préface de son Histoire de l’Église : Casaubon, dit-il, qui était un habile homme, devait traiter Baronius avec plus de civilité, lui qui ne nomme jamais Scaliger que ce divin homme, et se contenter de le reprendre sur les choses où il croyait qu’il s’était trompé, sans le vouloir faire passer à tout moment pour un homme qui n’avait nulle belle littérature. S’il avait entrepris une carrière aussi longue que la sienne, nous verrions s’il n’y aurait point fait de faux pas. Ses Exercitations en ont fait naître d’autres : on a trouvé justement de quoi censurer dans ses censures, et par-là on voit qu’en ces matières il n’y a rien qui ne puisse être défendu et attaqué avec une probabilité presque égale, surtout pour les dates du temps.