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DISSERTATION

à la réponse. Or cela n’est-il pas capable de jeter la plus grande partie des lecteurs dans une défiance continuelle ? Qu’y a-t-il qui ne puisse devenir suspect de fausseté à ceux qui n’ont en main la clef des sources ? Si un auteur avance des choses sans citer d’où il les prend, on a lieu de croire qu’il n’en parle que par ouï-dire : s’il cite, on craint qu’il ne rapporte mal le passage, ou qu’il ne l’entende mal, puisqu’on ne manque guère d’apprendre par la lecture d’une critique, qu’il y a beaucoup de pareilles fautes dans le livre critiqué. Que faire donc, monsieur, pour ôter tous ces sujets de défiance, y ayant un si grand nombre de livres qui n’ont jamais été réfutés, et un si grand nombre de lecteurs qui n’ont pas les livres où est contenue la suite des disputes littéraires ? Ne serait-il pas à souhaiter qu’il y eût au monde un dictionnaire critique auquel on pût avoir recours pour être assuré si ce que l’on trouve dans les autres dictionnaires, et dans toute sorte d’autres livres, est véritable ? Ce serait la pierre de touche des autres livres, et vous connaissez un homme un peu précieux dans son langage, qui ne manquerait pas d’appeler l’ouvrage en question, la chambre des assurances de la république des lettres.

Vous voyez là en gros l’idée de mon projet. J’ai dessein de composer un dictionnaire qui, outre les omissions considérables des autres, contiendra un recueil des faussetés qui concernent chaque article. Et vous voyez bien, monsieur, que si par exemple j’étais venu à bout de recueillir, sous le mot Sénèque, tout ce qui s’est dit de faux de cet illustre philosophe, on n’aurait qu’à consulter cet article pour savoir ce que l’on devrait croire de ce qu’on lirait concernant Sénèque, dans quelque livre que ce fût : car si c’était une fausseté, elle serait marquée dans le recueil, et dès qu’on ne verrait pas dans ce recueil un fait sur le pied de fausseté, on le pourrait tenir pour véritable. Cela suffit pour montrer que si ce dessein était bien exécuté, il en résulterait un ouvrage très-utile et très-commode à toutes sortes de lecteurs. Je sens bien, ce me semble, ce qu’il faudrait faire pour exécuter parfaitement cette entreprise, mais je sens encore mieux que je ne suis point capable de l’exécuter. C’est pourquoi je me borne à ne produire qu’une ébauche, et je laisse aux personnes qui ont la capacité requise le soin de la continuation, en cas qu’on juge que ce projet, rectifié partout où il sera nécessaire, mérite d’occuper la plume des habiles gens.

V. Pourquoi on publie par avance ces fragmens, et quel est leur caractère.

Mais comme j’ai d’abord prévu que mon ébauche aurait assez d’étendue pour m’engager à un très-pénible travail, et que d’ailleurs je me défie beaucoup de la manière dont j’exécuterai ce projet, savez-vous, monsieur, la résolution que j’ai prise assez brusquement ? c’est de hasarder quelques morceaux de mon ébauche, et de les envoyer, comme