Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
270
ÉCLAIRCISSEMENT.

prendraient garde à plusieurs choses qui me pouvaient fournir une apologie.

I. J’espérais, en premier lieu, que l’on ferait attention à la nature de ce Dictionnaire. C’est une vaste compilation nécessairement chargée de plusieurs détails de critique dégoûtans et fatigans au dernier point pour ceux qui ne sont pas du métier ; et il a fallu que dans cet amas de toutes sortes de matières, je soutinsse deux personnages, celui d’historien et celui de commentateur. Il n’a pas été possible de le tirer du mépris par rapport à bien des gens, qu’en y faisant entrer des choses qui ne fussent pas communes. Ceux qui ne se soucient guère, ni des disputes des grammairiens, ni des aventures d’un petit particulier, ne sont pas en petit nombre, et méritent que l’on ait égard à leur goût. Il est donc permis à un auteur de faire en sorte que son livre leur paraisse recommandable par quelque endroit ; et si cet auteur écrit en historien, il doit dire, non-seulement ce qu’ont fait les hérétiques, mais aussi quel est le fort et le faible de leurs opinions. Il doit faire principalement cela, s’il est lui-même le commentateur de ses récits ; car c’est dans son commentaire qu’il doit discuter les choses, et comparer ensemble les raisons du pour et du contre avec tout le désintéressement d’un fidèle rapporteur.

II. J’espérais, en second lieu, que l’on prendrait garde à l’air et à la manière dont je débite certains sentimens. Ce n’est point avec le ton de ceux qui veulent dogmatiser, ni avec l’entêtement de ceux qui cherchent des sectateurs. Ce sont des pensées répandues à l’aventure et incidemment, et que je veux bien que l’on prenne pour des jeux d’esprit, et que l’on rejette tout comme on le jugera à propos, et avec encore plus de liberté que je ne m’en donne. Il est aisé de connaître qu’un auteur qui en use de la sorte n’a point de mauvaises intentions, et qu’il ne tend point de piéges ; et que s’il lui échappe des réflexions qui pourraient être dangereuses venant sous une autre forme, il ne faut guère s’en formaliser.

III. J’espérais, en troisième lieu, que l’on prendrait garde aux circonstances qui font qu’une erreur n’est pas à craindre, ou qu’elle est à craindre. On doit en appréhender les suites lorsqu’elle est enseignée par des gens dont les relations au peuple leur ont fourni les occasions de s’autoriser, et de former un parti. On doit la suivre de près, l’observer et la refréner soigneusement lorsqu’un homme d’un caractère vénérable, un pasteur, un professeur en théologie, la répand par des sermons, par des leçons, par de petits livres réduits en système, ou en forme de catéchisme, et par des émissaires qui vont de maison en maison recommander la lecture de ses écrits, et prier les gens de se trouver aux conventicules où l’auteur explique plus en détail ses raisons et sa méthode [1].

  1. Notez que je joins ensemble toutes ces choses, sans prétendre que l’on ne se doit remuer que contre ceux qui font tout cela. Une partie en peut donner un juste motif.