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SUR LES ATHÉES.

Mais si un homme, tout-à-fait laïque comme moi et sans caractère, débitait parmi de vastes recueils historiques et de littérature, quelque erreur de religion ou de morale, on ne voit point qu’il fallût s’en mettre en peine. Ce n’est point dans de tels ouvrages qu’un lecteur cherche la réformation de la foi. On ne prend point pour guide dans cette matière un auteur qui n’en parle qu’en passant et par occasion, et qui, par cela même qu’il jette ses sentimens comme une épingle dans une prairie, fait assez connaître qu’il ne se soucie point d’être suivi. Les erreurs d’un tel écrivain sont sans conséquence, et ne méritent point que l’on s’en inquiète. C’est ainsi que se comportèrent en France les facultés de théologie, par rapport au livre de Michel de Montaigne. Elles laissèrent passer toutes les maximes de cet auteur, qui, sans suivre aucun système, aucune méthode, aucun ordre, entassait et faufilait tout ce qui lui était présenté par sa mémoire. Mais quand Pierre Charron, prêtre et théologal, s’avisa de débiter quelques-uns des sentimens de Montaigne dans un traité méthodique et systématique de morale [1], les théologiens ne se tinrent plus en repos [2].

IV. J’espérais, en quatrième lieu, et c’était le fondement principal de ma confiance, que l’on démêlerait facilement ces deux points-ci : 1°. Que je n’avance jamais sur le pied de mon opinion particulière aucun dogme qui combatte les articles de la confession de foi de l’église réformée où je suis né, et dont je fais profession ; 2°. Que quand je rapporte en historien ce que l’on peut objecter et répliquer aux orthodoxes, et que j’avoue que par les lumières naturelles on ne peut point dénouer toutes les difficultés des mécréans, je fais toujours une digression pour tirer de là une conséquence favorable au principe que les réformes opposent incessamment aux sociniens, que notre raison, étant aussi faible qu’elle l’est, ne doit pas être la règle ou la mesure de notre foi.

Voilà les raisons qui me faisaient croire que si je me servais quelquefois de ce que l’on nomme liberté de philosopher, on ne le prendrait pas en mauvaise part. Je ne m’en serais point servi, si j’avais prévu qu’on n’entrerait pas dans les considérations que je viens de proposer.

Mais l’événement n’a point répondu à mon espérance ; on a murmuré, on a crié contre ces endroits de mon Dictionnaire. Je n’ai jamais été persuadé que ce fût avec raison, néanmoins j’ai été fâché d’avoir dit des choses qu’on trouvait mauvaises, et je me suis toujours senti parfaitement disposé à remédier aux scrupules dans une seconde édition. Ayant su en quoi consistaient les griefs, il m’a paru qu’il était facile d’y apporter du remède, soit par la suppression de quelques pages, soit par quelques changemens d’expression, soit par des éclaircissemens qui fissent envisager les choses selon

  1. Conférez ce que dessus, remarque (O) de l’article Charron, tom. V, pag. 102.
  2. Voyez ci-dessus, rem. (F) de l’article Charron, tom. V, pag. 93.