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ÉCLAIRCISSEMENT

leur vrai point de vue. Je me suis engagé à cela sans aucune répugnance, et comme doivent faire tous les écrivains qui ne sont point entêtés de leurs pensées, et qui en font agréablement un sacrifice à l’édification du lecteur. Je souhaite que l’on soit content de ma conduite, tant à l’égard de ce qui a été supprimé, qu’à l’égard des choses que je m’en vais éclaircir ; et il me semble que j’ai lieu de me promettre qu’on en sera satisfait. Je me suis proposé ce but, et j’ai eu beaucoup d’attention à y parvenir.

Ier. ÉCLAIRCISSEMENT.

La remarque l’on a faite sur les bonnes bonnes mœurs de quelques personnes qui n’avaient point de religion ne peut faire aucun préjudice à la véritable foi, et n’y donne aucune atteinte.


Ceux qui se sont scandalisés de ce que j’ai dit qu’il y a eu des athées et des épicuriens qui ont surpassé en bonnes mœurs la plupart des idolâtres, sont priés de bien réfléchir sur toutes les considérations que je m’en vais proposer. S’ils le font, leur scandale s’évanouira et disparaîtra entièrement.

I. La crainte et l’amour de la divinité ne sont point l’unique ressort des actions humaines. Il y a d’autres principes qui font agir l’homme : l’amour de la louange, la crainte de l’infamie, les dispositions du tempérament, les peines et les récompenses proposées par les magistrats, ont beaucoup d’activité sur le cœur humain. Si quelqu’un en doute, il faut qu’il ignore ce qui se passe chez lui, et ce que le train ordinaire du monde lui peut mettre sous les yeux à chaque moment. Mais il n’y a point d’apparence que personne soit assez stupide pour ignorer une telle chose. On peut donc mettre parmi les notions communes ce que j’établis touchant ces autres ressorts des actions humaines.

II. La crainte et l’amour de la divinité ne sont pas toujours un principe plus actif que tous les autres. L’amour de la gloire, la crainte de l’infamie, ou de la mort, ou des tourmens, l’espérance des charges, agissent avec plus de force sur certains hommes que le désir de plaire à Dieu, et que la crainte de violer ses commandemens. Si quelqu’un en doute, il ignore une partie de ses actions, et ne sait rien de ce qui se passe journellement sur la terre. Le monde est rempli de gens qui aiment mieux commettre un péché que de déplaire à un prince qui peut faire ou renverser leur fortune. On signe tous les jours des formulaires de foi contre sa conscience, afin de sauver son bien, ou d’éviter la prison, l’exil, la mort, etc. Un homme de guerre qui a tout quitté pour sa religion, et qui se voit dans l’alternative, ou d’offenser Dieu s’il se venge d’un soufflet, ou de passer pour un lâche s’il ne s’en venge pas, ne se donne point de repos qu’il n’ait eu raison de cette offense, au hasard même de tuer, ou d’être tué dans un état qui sera suivi de sa damnation éternelle. Il n’y a point d’apparence que personne soit assez stupide pour ignorer de tels faits. Mettons donc parmi