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SUR LES MANICHÉENS.

mystères, mais aux disputes sur l’origine du mal, on commettra bien des fautes. Car on ignorera, 1°. que les décrets de Dieu sur la chute du premier homme, et sur les suites de cette chute, sont un des mystères les plus incompréhensibles de la religion ; 2°. que nos théologiens les plus orthodoxes tombent d’accord de cela.

Les écrits de saint Paul nous apprennent que ce grand apôtre, s’étant proposé les difficultés de la prédestination, ne s’en tira que par le droit absolu de Dieu sur toutes les créatures [1], et que par une exclamation sur l’incompréhensibilité des voies de Dieu. Eût-il pu signifier plus clairement que par une telle solution, combien le dogme des décrets de Dieu sur la destinée des élus et des réprouvés est inexplicable ? N’est-ce pas nous dire en termes bien clairs que la prédestination est un des mystères qui accablent le plus la raison de l’homme, et qui demandent le plus inévitablement qu’elle s’humilie sous l’autorité de Dieu, et qu’elle se sacrifie à l’Écriture ? Les objections qu’elle forme contre les mystères de la Trinité et de l’Incarnation ne se font sentir pour l’ordinaire qu’à ceux qui ont quelque teinture de logique et de métaphysique ; et comme elles appartiennent à des sciences de spéculation, elles frappent moins le commun des hommes ; mais celles qu’elle forme contre le péché d’Adam, et contre le péché originel, et contre la damnation éternelle d’une infinité de gens qui ne pouvaient être sauvés sans une grâce efficace que Dieu ne donne qu’à ses élus, sont fondées sur des principes de morale que tout le monde connaît, et qui servent continuellement de règle tant aux savans qu’aux ignorans, pour juger si une action est injuste, ou si elle ne l’est pas. Ces principes sont de la dernière évidence, et agissent sur l’esprit et sur le cœur, de sorte que toutes les facultés de l’homme se soulèvent quand il faut imputer à Dieu une conduite qui n’est pas conforme à cette règle. La solution même que l’on tire de l’infinité de Dieu, et qui sert d’un puissant motif pour captiver l’entendement, n’est pas exempte d’une nouvelle difficulté ; car si la distance infinie qui élève Dieu au-dessus de toutes choses, doit persuader qu’il n’est point soumis aux règles des vertus humaines, on ne sera plus certain que sa justice l’engage à punir le mal, et l’on ne saurait réfuter ceux qui soutiendraient qu’il est l’auteur du péché, et qu’il le punit néanmoins fort justement, et qu’en tout cela il ne fait rien qui ne s’accorde avec les perfections infinies du souverain être ; car ce ne sont pas des perfections qu’il faille ajuster aux idées que nous avons de la vertu.

Il est donc visible que le dogme du péché d’Adam, avec ce qui en dépend, est entre tous les mystères inconcevables à notre raison, et inexplicables selon ses maximes, celui qui demande le plus nécessairement que l’on se soumette à la vérité révélée, nonobstant toutes les opposi-

  1. Voyez la rem. (E) de l’article d’Arminius, tom. II, pag. 387.