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ACCIUS.

du côté de l’érudition. D. Brutus, M. filius, ut ex familiari ejus L. Accin poëtâ sum audire solitus, et dicere non incultè solebat, et erat cùm litteris latinis, tùm etiam græcis, ut temporibus illis, salis eruditus[1].

(I) Cela regarde un autre poëte. ] Savoir Attilius, dont Cicéron parle non-seulement dans l’une de ses lettres à Atticus, hocenim Attilius, poëta durissimus[2], mais aussi dans un autre endroit. Cet autre passage mérite d’être rapporté un peu au long, parce qu’il apprend de quelle manière il faut juger de ceux qui méprisent leur propre langue, et les auteurs de leur nation. A quibus tantùm dissentio, ut cùm, Sophocles veloptimè scripserit Electram, tamen malè conversam Attilii mihi legendam putem, de quo Licinius ;

Ferreum[3] scriptorem opinor, verum scriptorem tamen
Ut legendus sit.


Rudem enim esse omninò in nostris poëtis, aut inertissimæ segnitiæ est, aut fastidii delicatissimi Mihi quidem nulli salis eruditi videntur quibus nostra ignota sunt[4]. Suétone fait mention de l’Electra d’Attilius, comme nous le ferons voir dans l’article de ce poëte. L’Electra était sans doute une tragédie : cependant Attilius n’est compté qu’au nombre des poëtes comiques dans le catalogue de Volcatius Sedigitus[5] ; et, selon la remarque de Vossius, les morceaux que Cicéron, Varron et Macrobe[6] citent de lui, sentent plus le comique que le tragique. Qui prétendrait faire de cela une difficulté serait dans une grande illusion. MM. Corneille et Racine ne sont-ils point des poëtes tragiques simplement et absolument ? néanmoins ils ont fait des comédies. Et si Molière s’était avisé de composer quelque tragédie, comme on dit que Scarron s’en voulut enfin mêler, eût-il cessé d’être tout court un poëte comique ? A majori parte sumitur denominatio. Voyez la remarque (F). Mais, pour revenir à la prétendue accusation contre le style d’Accius, je dois dire que Cicéron a cité souvent ce poëte, et que dans l’oraison pour Sextius il l’a traité de grand poëte : Summi poetæ ingenium non solùm arte suâ, sed etiam dolore exprimebat. L’endroit est curieux : on y voit que le fameux acteur Esope se servait des vers d’Accius qui avaient quelque rapport à l’exil de Cicéron ; qu’il s’en servait, dis-je, pour faire sentir au peuple cette injustice. Les Romains étaient fort accoutumés à faire des applications au temps présent, lorsqu’ils entendaient certaines pensées à la comédie. Voyez Suétone[7] et la Iere. et la Xe. philippique de Cicéron : elles nous apprennent que, pendant qu’on jouait une tragédie d’Accius, le peuple ne cessait de témoigner par ses applaudissemens l’amitié qu’il avait pour Brutus.

(K) La réflexion de bon sens qu’il opposa à se reproche. ] Accius, allant en Asie, passa par Tarente, et y vit Pacuve, qui s’y était retiré sur ses vieux jours. Il fut le voir la tragédie d’Atrée en poche, et lui en fit la lecture. Telles gens ne séparent guère ces choses-là. Pacuve y trouva d’un côté beaucoup de grandeur et de cadence ; et de l’autre beaucoup de dureté et de crudité. Accius avoua la dette avec joie, et en tira un bon augure pour ses productions à venir ; les esprits étant semblables aux pommes, qui ne valent jamais rien, si elles ne sont dures et vertes avant que de mûrir. Mais il vaut mieux peser les paroles de l’original. Tunc Pacuvium dixisse aiunt sonora quidem esse quæ scripsisset et grandia, sed videri ea tamen sibi duriora paulùm et acerbiora. Ita est, inquit Accius, uti dicis, neque id sanè me pœnitet, meliora enim fore spero quæ deinceps scribam. Nam quod in pomis est, itidem, inquit, esse aiunt in ingeniis, quæ dura et acerba nascuntur, pòst fiunt mitia et jucunda ; sed quæ gignuntur statim vieta et mollia atque in principio sunt uvida ; non matura mox fiunt, sed putria Relinquendum igitur visum est in ingenio quod dies atque ætas mitificet[8]. Cela me fait souvenir d’un conseil

  1. Cicero, in Bruto, cap. XXVIII.
  2. Idem, Epist. XX, lib. XIV, ad Attic.
  3. C’est ainsi que Vossius, de Poët. lat., pag. 7, range les paroles de Licinius.
  4. Cicero, de Finib. lib. I, circa init.
  5. Apud A. Gell. lib. XV, cap. XXIV.
  6. Je crois que Vossius, de Poet lat. pag. 8, se trompe touchant Macrobe.
  7. Sueton. in Cæsar. cap. LXXXIV.
  8. Aulus Gellius, lib. XIII, cap. II.