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ACHILLE.

sterus a dit aussi qu’Achille, ayant été instruit par Chiron pendant son enfance, fut élevé par Phénix quand il fut devenu plus grand[1]. Remarquez que je n’entends point nier que, depuis qu’Achille fut père, on n’ait recommandé à Phénix de lui enseigner comment il se faut conduire dans le métier des armes, et dans les conseils de guerre[2]. Mais je n’appelle point cela lui avoir donné un précepteur.

Je ne sais si Malherbe avait jamais pris garde à ceci ; mais il est sûr qu’il s’est exprimé en homme qui aurait bien observé qu’il ne faut donner qu’un précepteur à Achille. Voici comme il parle de ce guerrier au IVe. livre de ses poésies, page 106 :

De quelque adresse qu’au giron,
Ou de Phénix ou de Chiron,
Il eut fait son apprentissage.


Il faut lui donner seulement Phénix, si l’on veut s’en rapporter à Homère, qui ne fait nulle mention du préceptorat de Chiron ; et il ne lui faut donner que Chiron, si l’on s’en rapporte à la foule des auteurs. M. Ménage a dit néanmoins, dans ses notes sur cet endroit de Malherbe, que Chiron fut le premier gouverneur d’Achille, et Phénix le second. Je ne m’arrête point à l’autorité de Tzetzès, qui, par une explication allégorique de ce qu’il avait lu dans quelques auteurs, que Phénix, aveuglé par son propre père, fut mené à Chiron qui lui rendit la vue, prétend que cela veut dire que Chiron lui mit en main le jeune Achille ; car, outre qu’il n’y a rien de plus froid ni de plus forcé que cette pensée, il faut savoir que Tzetzès ne prouve nullement le fait. Il veut accorder, par ses prétendues allégories, Homère avec Lycophron : mais comment accordera-t-il Homère, qui dit qu’Achille, tout petit enfant encore, était sous la conduite de Phénix ? comment, dis-je, accordera-t-il cela avec ceux qui font élever Achille par Chiron depuis l’âge de six ans jusqu’à l’âge de puberté[3], jusqu’à ce que non-seulement il eût appris à se tenir à cheval sur le dos de son précepteur[4], mais aussi qu’il se fût endurci aux exercices les plus rudes[5] ; sans compter tant d’autres choses que Chiron lui enseigna : l’art militaire, la musique, la morale (comme Décimator vient de nous le dire), la médecine, et en particulier la botanique et la jurisprudence, comme un ancien auteur nommé Staphylus[6], et plusieurs autres nous l’apprennent ? Statius, au IIe. livre de l’Achilléide ; Claudien, dans son ouvrage sur le troisième consulat d’Honorius ; Sidonius Apollinaris, dans son poëme IX, spécifient ce qu’Achille apprit de Chiron. Notez que l’on donne à Chiron, dans les Commentaires sur les Emblèmes d’Alciat, et cela sur le témoignage d’Homère, ce qui ne convient qu’à Phénix, si nous en croyons Homère. Rien n’est plus fréquent que ces quiproquo parmi les auteurs.

J’ai dit qu’Homère n’a point parlé du préceptorat de Chiron. Que veulent donc dire, me demandera-t-on, ces paroles d’Eurypyle à Patrocle dans le onzième livre de :

....Ἐπὶ δ᾿ ἤπια ϕάρμακα πάσσε
Ἐσθλὰ, τά σε προτί ϕασίν Ἀχιλλῆος δεδιδάχθαι
Ὅν Χείρων ἐδίδαξε δικαιότατος Κενταύρων[7] ;


Mettez sur ma blessure les médicamens salutaires que l’on dit que vous avez appris d’Achille, qui a été instruit par Chiron, le plus juste des centaures ? Je réponds qu’elles signifient, non pas que Chiron ait été précepteur d’Achille, mais seulement qu’il lui apprit des remèdes. Chacun voit la différence de ces deux choses. Monconis, dans ses Voyages, nomme cent personnes qui lui apprenaient des recettes et des secrets de guérison : ces gens-là

    ans, après avoir été professeur en poésie pendant 45 ans, et en éloquence pendant 30 ans, à Wittemberg. Il corrigea encore et augmenta ce Dictionnaire, pour l’édition de 1655. Enfin, Christophe Cellarius l’a corrigé de nouveau, premièrement pour l’édition de l’année 1686, ensuite pour celle de 1692, et enfin pour celle de 1696.

  1. Dempsteri Paralip. ad Rosinum, lib. II, cap. XI.
  2. Hom. Iliad. lib. IX, vs. 440.
  3. Pindar. Nem. Ode III.
  4. Τῷ αὐτῷ τώλῳ και διδασκάλῳ χρώμενος. Eodem utens et pullo et præceptore. Greg. Nazianz. Orat. XX.
  5. Statii Achil. lib. II, vs. 382.
  6. Il est cité par Natal. Comes, liv. IX, chap. XII, et dans les Commentaires sur les Emblèmes d’Alciat.
  7. Homer. Iliad. lib. XI, vs. 829.