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ALÉANDRE.

gligence des auteurs de son épitaphe. Ils y mettent qu’il naquit à La Motte, dans la Carniole, l’an 1479, et qu’il mourut à Rome, l’an 1542, âgé de soixante-deux ans moins treize jours. Cela ne peut être vrai que dans Ja supposition que l’année 1479 ne commença pas au mois de janvier, et que l’année 1542 y commença : or il est ridicule de supposer dans une épitaphe une manière de marquer le temps si destituée d’uniformité. Je m’étonne que l’auteur du Nomenclator ne se soit point aperçu de cette fausse supposition. Il dit une chose incompatible avec le père Pallavicini : savoir, qu’Aléandre n’avait que vingt ans lorsqu’il enseignait dans l’université de Paris.

(C) Il tomba entre les mains de quelques soldats qui le maltraitèrent. ] Voici ce qu’on trouve là-dessus dans une lettre d’Hiérome Négro à Marc-Antoine Michieli, datée de Rome le 20 de mars 1525 : « L’archevesque de Capue nous a racompté un cas estrange d’Aléandre, évesque esleu de Brindes, et nonce de sa Sainteté près le roy très-Chrestien : c’est qu’en la plus grande fureur du combat, et en celle confusion telle que la pouvez imaginer, le pauvre gentilhomme s’enfuyant vestu d’accoustrement digne de son estat d’évesque, il tomba ès mains de trois Espagnols, lesquels le prenans, et sans autrement le cognoistre, le contraignirent par menaces et bravades, de se tailler à trois mille ducats de rançon, et le menèrent en cest équipage par le camp, se tournans souvent en arrière, et l’importunans avec très-rigoureuses paroles de les suyvre. L’effroyé évesque couroit aprés eux comme un laquay, sans oser dire qu’il fust nonce apostolique. Mais, estant dedans Pavie, il fut recogneu par le viceroy de Naples, et par le marquis de Pescare, qui, avec grande peine et difficulté, le délivrèrent de ceste prison et servitude : néanmoins fallut-il pour estre quitte de son serment, qu’il donnast aux soldats susdits deux cents ducats pour homme afin de les contenter. J’entends qu’il va à Venise, il vous fera le compte de ses disgrâces et mésavantures[1]. »

(D) Quelques-uns disent qu’il mourut par la bêtise de son médecin[2]. ] Cela ne s’accorde guère avec son épitaphe, qui témoigne qu’une maladie de langueur, contractée par les travaux de ses ambassades, le fit mourir : Mox, diversis Legationibus pro summis Pontificibus ad omnes ferè christianos Principes fideliter et diligenter perfuncto, et ideò in tabem delapso. Un passage de Paul Jove, mal compris d’abord, et puis métamorphosé de main en main en différens sens, aura peut-être donné lieu à cette bêtise du médecin d’Aléandre. Quoi qu’il en soit, nous apprenons de Paul Jove, qu’Aléandre ruina lui-même sa santé par le trop de soin qu’il en prit, et qu’il fut à lui-même un très-méchant médecin, pour s’être servi de trop de remèdes non nécessaires : Lætatus est eâ purpurâ per annos quinque [3], pervasurus haud dubiè ad exactam ætatem, nisi nimiâ tuendæ valetudinis sollicitudine intempestivis medicamentis, sibi herclè insanus et infelix medicus, viscera corrupisset [4].

(E) Il avait publié quelques ouvrages. ] M. de la Rochepozai[5] me donne encore un petit sujet de me plaindre de son manque d’exactitude. Il dit qu’Aléandre, quoique très-capable de traiter les plus sublimes matières, n’avait pas dédaigné d’écrire sur les humanités, et de publier quelques petits opuscules, dont le sujet était fort mince : De re... litterariâ licet inferiori benè mereri non dedignatus est, exilis argumenti operulis editis, quæ tamen autoris nomen et fumam nec elevant neque imminutum eunt[6]. Il n’y a point d’homme qui, lisant cela, ne se prépare à ne voir que de forts petits livrets dans le catalogue des Œuvres d’Aléandre, qui est à la suite de ces paroles du Nomenclator. Cependant, voici le début de cette suite : Scripsit vastum opus adversùs singulos disciplinarum professores, in quos censuram acerbiùs et felicem exercuit

  1. Lettres des Princes, traduites par Belleforêt, folio 96.
  2. Voyez les Jugem. des Savans sur les Poët. tom. III, num. 1273, pag. 194.
  3. Il faudrait conclure de là qu’il obtint le cardinalat en 1537.
  4. Paulus Jovius, Elog., cap. XCVIII, p. 231.
  5. Évêque de Poitiers, auteur du Nomenclator Cardinalium.
  6. Nomenclator Cardinalium, pag. 131, edit. 1614.