Page:Bazin - La Terre qui meurt, 1926.djvu/100

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avant qu’il fût dix heures, descendait de wagon dans la gare de la Roche-sur-Yon.

Dès qu’il posa le pied sur le quai, il chercha son fils parmi les employés occupés à ouvrir les portières ou à enlever les bagages du fourgon. Au milieu des voyageurs qui se hâtaient, dominant de la tête la plupart d’entre eux, il s’arrêtait tous les dix pas, pour suivre du regard, ici ou là, quelque visage jeune et plein qui ressemblait à François. Il voulait revoir son fils, mais il redoutait de le rencontrer en cet endroit et en public. Lui, venu librement, dans son costume de laine noire, ceinturé de bleu, son chapeau neuf à galons de velours bien posé en arrière, lui, maître de régler le travail et le loisir de ses journées, il avait honte à la pensée que dans cette troupe de manœuvres commandés, serrés de près par les chefs, vêtus d’un uniforme qu’ils n’avaient pas le droit de changer pour un vêtement de leur choix, il y avait un Lumineau de la Fromentière. N’ayant pas aperçu François sous le hall, il se dirigeait vers les lignes de dégagement, où une équipe de six hommes poussait de l’épaule un wagon chargé, et il songeait : « En voilà d’attelés comme les bêtes de chez moi », lorsqu’une voix l’interpella :

— Où allez-vous ?

— Voir mon gars.

— Qui ça ?

— Vous le connaissez peut-être, dit le métayer en portant le bout des doigts à son chapeau : il est employé chez vous ; il a nom François Lumineau.

Le contrôleur eut une moue méprisante :

— Lumineau ? Ah ! oui, un homme d’équipe qui est là depuis quatre mois ?

— Cinq, dit le père.

— Peut-être ; un gros rougeaud, un peu fainéant ; vous voulez lui parler ?

— Oui.

— Eh bien ! si vous savez où il demeure, allez-y donc. Vous pourrez lui faire vos commissions à l’heure du déjeuner, quand il rentrera : mais ici on ne circule pas sur les voies, mon bonhomme.

Il grommela, en s’éloignant :