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LES DEUX AMIS, ACTE I, SCÈNE V.


MÉLAC FILS.

J’aime mieux demander pardon de tout ce que j’ai dit.

(Il se met à genoux.)
PAULINE.

Et moi, je le veux.

MÉLAC FILS.

C’est une tyrannie.

PAULINE, plaisantant.

Obéissez, ou je ne vous appelle plus mon frère.

MÉLAC FILS, d’un air hypocrite, en se relevant.

Si ce nom vous déplaît, vous avez un autre moyen de m’y faire renoncer.

PAULINE.

Et c’est…

MÉLAC FILS.

De m’en permettre un plus doux.



Scène II


PAULINE, MÉLAC fils, MÉLAC père.
(Mélac père paraît dans le fond.)
PAULINE.

Je ne vous entends pas.

MÉLAC FILS.

Vous ne m’entendez pas ? Je vais…

PAULINE, lui coupant la parole.

Je vais… je vais jouer la pièce : m’accompagnerez-vous, oui ou non ?

MÉLAC FILS, lui baisant la main.

Pardon, pardon ; mais pour celle-ci, en vérité, elle est trop difficile.

PAULINE, avec une petite moue.

Hum… Mauvais caractère ! je sais ce qui vous la fait voir ainsi. (Il lui baise les mains, elle se fâche.) Finissez, monsieur de Mélac, je vous l’ai déjà dit. Ces libertés m’offensent : laissez mes mains.

MÉLAC FILS.

Qui pourrait refuser… (Il continue à lui baiser les mains) un juste hommage… à leur dextérité ?

(Mélac père se retire avec mystère.)



Scène III


MÉLAC fils, PAULINE.
PAULINE, s’échappant.

Encore ? obstiné ! mutin ! disputeur ! audacieux ! jaloux !… Car vous méritez tous ces noms-là. Vous refusez de m’accompagner, vous en aurez ce soir la honte publique.



Scène IV


MÉLAC fils, seul.

Mon cœur la suit… Ah ! Pauline… Je plaisante avec elle… je dispute… je l’obstine… Sans ce détour, je n’oserais jamais… Si mon père m’eût obtenu cette survivance, mon état une fois fait… « Je le veux absolument, dit-elle, obéissez ! »… J’aime à la voir prendre ainsi possession de moi sans qu’elle s’en doute. (Il va fermer le clavecin.) Oui : mais elle a beau dire, je ne jouerai point la musique de son Saint-Alban… Que je le hais avec son esprit, sa richesse et son air affectueux ! Il avait bien affaire de rester trois semaines ici, ce beau fermier général ! On l’envoie en tournée…



Scène V


MÉLAC fils, MÉLAC père.
MÉLAC PÈRE, jouant l’étonné.

Tout seul, mon fils ! il me semblait avoir entendu de la musique.

MÉLAC FILS.

C’était Pauline, mon père ; elle est allée s’habiller.

MÉLAC PÈRE.

Mais vous, Mélac, vous n’êtes pas décemment : ces cheveux…

MÉLAC FILS.

Elle était en peignoir elle-même.

MÉLAC PÈRE.

Cette aimable confiance de l’innocence n’autorise point à lui manquer.

MÉLAC FILS.

Moi, lui manquer, mon père !

MÉLAC PÈRE.

Oui, mon fils, c’est lui manquer que de vous montrer à ses yeux dans ce désordre. Parce qu’elle ignore le danger, ou vous estime assez pour n’en point craindre avec vous, est-ce une raison d’oublier ce que vous devez à son sexe, à son âge, à son état ?

MÉLAC FILS.

Je ne vais point chez elle ainsi. Ce salon nous est commun, nous y avons toujours étudié le matin… Quand on demeure ensemble… Mais, mon père, jusqu’à présent vous ne m’avez rien dit… Est-ce M. Aurelly qui fait cette remarque ?

MÉLAC PÈRE.

Son oncle ? Non, mon ami. Aussi simple qu’honnête, Aurelly ne suppose jamais le mal où il ne le voit pas ; mais, tout occupé de son commerce, il s’est reposé sur moi des mœurs et de l’éducation de sa nièce, et je dois la garantir par mes soins…

MÉLAC FILS.

La garantir !

MÉLAC PÈRE.

Elle n’est plus une enfant, mon fils ; et ces familiarités d’autrefois…

MÉLAC FILS, un peu déconcerté.

J’espère ne jamais m’oublier devant elle, et lui montrer toujours autant de respect que je renferme d’attachement.