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LES DEUX AMIS, ACTE II, SCÈNE I.


PAULINE.

Que disiez-vous donc ?

AURELLY.

Nous parlions faillites, banqueroutes.

PAULINE.

C’est cela. Son âme est si sensible, que le malheur même de ceux qu’il ne connaît pas l’afflige.



Scène XIV


PAULINE, ANDRÉ, AURELLY.
ANDRÉ, criant et courant.

Monsieur ! monsieur !

PAULINE fait un cri de surprise.

Ah !…

AURELLY.

Qu’est-ce donc ?

ANDRÉ, avec joie.

Le valet de chambre de monsieur le grand fermier[1] descend de cheval dans la cour.

AURELLY, avec humeur.

Eh bien ! vous ne pouvez pas dire cela sans courir, et nous crier aux oreilles ?

PAULINE.

Il m’a fait une frayeur…

ANDRÉ.

Dame, est-ce que ce n’est donc rien ? monsieur le grand fermier qui arrive !

AURELLY.

Saint-Alban ?

ANDRÉ.

Monsieur de la Fleur l’a laissé à la dernière poste.

PAULINE, avec humeur.

Quand nous l’aurions appris deux minutes plus tard…

AURELLY, à Pauline.

Quel dommage que le concert soit dérangé ! Tu voulais des juges ; en voici un que tu ne récuserais pas… Il repasse bientôt ! Qu’on fasse rafraîchir son courrier.

ANDRÉ.

Bon ! Il n’a fait qu’un saut dans l’office. Pour un valet de chambre, on ne dira pas qu’il est fier, lui.

AURELLY.

Suis-moi.

ANDRÉ.

Quel appartement faut-il disposer ?

AURELLY.

Suis-moi, te dis-je ; je vais donner des ordres.



Scène XV


PAULINE, seule, avec chagrin.

Saint-Alban !… C’est son amour qui le ramène… J’ai le cœur serré. (Elle soupire.) La persécution de celui-ci, la jalousie qu’elle donne à Mélac, et surtout la nécessité de cacher sous un air libre un sentiment que je ne puis dompter… En vérité, mon état devient plus pénible de jour en jour.


ACTE DEUXIÈME



Scène I


MÉLAC fils, en habit de ville ; PAULINE.
PAULINE, avec une gaieté affectée.

Pour quelqu’un qui a fait une aussi belle toilette, vous avez une terrible humeur.

MÉLAC FILS.

C’est votre gaieté qui me la donne, mademoiselle ; c’est ce retour précipité. Saint-Alban doit rester trois mois en tournée ; il en passe un ici ; et à peine est-il parti, qu’on le voit revenir.

PAULINE.

S’il a des affaires à Paris ?

MÉLAC FILS.

La Fleur dit qu’il n’y va pas. Un tel empressement ne regarde que vous, mademoiselle.

PAULINE, en riant.

Depuis quand suis-je mademoiselle ? les doux noms de frère et de sœur…

MÉLAC FILS, avec feu.

Saint-Alban vous aime : il est riche, en place, estimé ; je vois tout mon malheur. Il vous aime, il vous obtiendra, et j’en mourrai de chagrin.

PAULINE, gaiement.

Dites-moi, je vous prie, où vous prenez toutes les folies qui vous échappent ?

MÉLAC FILS.

Écoutez, Pauline. Vous faites profession de sincérité ; assurez-moi qu’il ne vous a rien dit, et je serai calmé.

PAULINE.

Que voulez-vous qu’il m’ait dit ?

MÉLAC FILS.

Que vous êtes belle ; qu’il vous aime.

PAULINE.

C’est une phrase si commune ! et vous aussi, vous me l’avez dit : tous les jeunes gens reçus dans cette maison ne se donnent-ils pas les airs de tenir le même langage ?

MÉLAC FILS.

Aucun d’eux, sans doute, n’a pu vous voir avec indifférence ; mais s’ils vous connaissaient comme moi…

PAULINE.

Ils me verraient bien haïssable.

  1. Les gens du peuple de toutes les provinces méridionales de la France nommaient ainsi les fermiers du roi.