Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/290

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Figaro, s’écriant : Oui ! l’infâme Bégearss : je l’ai surpris tantôt qui la remettait à Monsieur.

Le Comte, parlant vite : Non, je la dois au seul hasard. Ce matin, lui et moi, pour un tout autre objet, examinions votre écrin, sans nous douter qu’il eût un double fond. Dans le débat et sous ses doigts, le secret s’est ouvert soudain, à son très grand étonnement. Il a cru le coffre brisé !

Figaro, criant plus fort : Son étonnement d’un secret ? Monstre ! C’est lui qui l’a fait faire !

Le Comte : Est-il possible ?

La Comtesse : Il est trop vrai !

Le Comte : Des papiers frappent nos regards ; il en ignorait l’existence, et, quand j’ai voulu les lui lire, il a refusé de les voir.

Suzanne, s’écriant : Il les a lus cent fois avec Madame !

Le Comte : Est-il vrai ? Les connaissait-il ?

La Comtesse : Ce fut lui qui me les remit, qui les apporta de l’armée, lorsqu’un infortuné mourut.

Le Comte : Cet ami sûr, instruit de tout ?

Figaro, La Comtesse, Suzanne, ensemble, criant : C’est lui !

Le Comte : O scélératesse infernale ! Avec quel art il m’avait engagé ! A présent je sais tout.

Figaro : Vous le croyez !

Le Comte : Je connais son affreux projet. Mais, pour en être plus certain, déchirons le voile en entier. Par qui savez-vous donc ce qui touche ma Florestine ?

La Comtesse, vite : Lui seul m’en a fait confidence.

Léon, vite : Il me l’a dit sous le secret.

Suzanne, vite : Il me l’a dit aussi.

Le Comte, avec horreur : O monstre ! Et moi j’allais la lui donner ! mettre ma fortune en ses mains !

Figaro, vivement : Plus d’un tiers y serait déjà, si je n’avais porté, sans vous le dire, vos trois millions d’or en dépôt chez monsieur Fal : vous alliez l’en rendre le maître, heureusement je m’en suis douté. Je vous ai donné son reçu…

Le Comte, vivement : Le scélérat vient de me l’enlever, pour en aller toucher la somme.

Figaro, désolé : O proscription sur moi ! Si l’argent est remis, tout ce que j’ai fait est perdu ! Je cours chez Monsieur Fal. Dieu veuille qu’il ne soit pas trop tard !

Le Comte, à Figaro : Le traître n’y peut être encore.

Figaro : S’il a perdu un temps, nous le tenons. J’y cours. (Il veut sortir.)

Le Comte, vivement, l’arrête : Mais, Figaro ! que le fatal secret dont ce moment vient de t’instruire reste enseveli dans ton sein !

Figaro, avec une grande sensibilité : Mon maître ! Il y a vingt ans qu’il est dans ce sein-là, et dix que je travaille à empêcher qu’un monstre n’en abuse ! Attendez surtout mon retour, avant de prendre aucun parti.

Le Comte, vivement : Penserait-il se disculper ?

Figaro : Il fera tout pour le tenter ; (Il tire une lettre de sa poche.) mais voici le préservatif. Lisez le contenu de cette épouvantable lettre ; le secret de l’enfer est là. Vous me saurez bon gré d’avoir tout fait pour me la procurer. (Il lui remet la lettre de Bégearss.) Suzanne ! des gouttes à ta maîtresse. Tu sais comment je les prépare. (Il lui donne un flacon.) Passez-la sur sa chaise longue ; et le plus grand calme autour d’elle. Monsieur, au moins ne recommencez pas ; elle s’éteindrait dans nos mains ! Le Comte, exalté : Recommencer ! Je me ferais horreur !

Figaro, à la Comtesse : Vous l’entendez, Madame ? le voilà dans son caractère ! Et c’est mon maître que j’entends. Ah ! je l’ai toujours dit de lui : la colère, chez les bons cœurs, n’est qu’un besoin pressant de pardonner ! (Il s’enfuit.)

Le Comte et Léon la prennent sous les bras ; ils sortent tous.

Acte V

Le théâtre représente le grand salon du premier acte.

Scène première : Le Comte, La Comtesse, Léon, Suzanne.

La Comtesse, sans rouge, dans le plus grand désordre de parure.

Léon, soutenant sa mère : Il fait trop chaud, maman, dans l’appartement intérieur. Suzanne, avance une bergère. (On l’assied.)