avec indignation, ou si vous les avez serrés discrètement et avec satisfaction.
« Passons à un autre article non moins intéressant, celui des quinze louis. — N’allez-vous pas dire encore, monsieur, que je conviens de les avoir reçus ? — Pour des aveux formels, madame, je n’ai pas la présomption de m’en flatter : je sais qu’on n’en obtient de vous qu’en certains temps, à certains jours marqués… Mais j’avoue que je compte assez sur de petites contradictions, pour espérer qu’avec l’aide de Dieu et du greffier nous dissiperons le léger brouillard qui offusque encore la vérité. »
Alors je la priai de vouloir bien nous dire nettement et sans équivoque si elle n’avait pas exigé de le Jay quinze louis pour le secrétaire, et si elle ne les avait pas serrés dans son bureau quand le Jay les lui remit en argent. — Je réponds nettement et sans équivoque qui jamais le Jay ne m’a parlé de ces quinze louis, ni ne me les a présentés.
« Observez, madame, qu’il y aurait bien plus de mérite à dire : je les ai refusés, qu’à soutenir que vous n’en avez eu aucune connaissance. — Je soutiens, monsieur, qu’on ne m’en a jamais parlé : y aurait-il eu le sens commun, d’offrir quinze louis à une femme de ma qualité, à moi qui en avais refusé cent la veille ? — De quelle veille parlez-vous donc, madame ? — Eh ! pardi, monsieur, de la veille du jour… (Elle s’arrêta tout court en se mordant la lèvre.) De la veille du jour, lui dis-je, où l’on ne vous a jamais parlé de ces quinze louis, n’est-ce pas ?
« Finissez, dit-elle en se levant furieuse, ou je vous donnerai une paire de soufflets… J’avais bien affaire de ces quinze louis ! Avec toutes vos mauvaises petites phrases détournées, vous ne cherchez qu’à m’embrouiller et me faire couper ; mais je jure, en vérité, que je ne répondrai plus un seul mot. » Et l’éventail apaisait, à coups redoublés, le feu qui lui était monté au visage.
Le greffier voulut dire quelque chose ; il fut rembarré d’importance. Elle était comme un lion, de sentir qu’elle avait manqué d’être prise.
Le sage conseiller, pour apaiser le débat, me dit alors : « Ce que vous demandez là vous paraît-il bien essentiel ? Madame a déjà fait écrire tant de fois qu’elle n’a pas reçu ces quinze louis ! Qu’importe qu’on les lui ait offerts ou non, dès qu’elle s’en offense ?
« Je ne sais, monsieur, pourquoi madame en est blessée ; ces mots, exigés pour le secrétaire, que j’ai eu soin d’ajouter à ma phrase, devraient lui prouver que je n’entends point l’obliger à rougir ici sur une demande de quinze louis, qu’elle n’était pas censée alors faire pour elle-même. À la bonne heure : ne parlons plus des cent louis rejetés la veille du jour… où on ne lui a jamais parlé de ces quinze louis, puisque cela trouble la paix de notre conférence, mais je demande pardon et faveur pour ma question : on ne connaît souvent la valeur des principes que quand les conséquences sont tirées. Je vous prie donc de vouloir bien au moins faire écrire exactement que madame Goëzman assure qu’on ne lui a jamais parlé des quinze louis, ni proposé de les accepter. » (Ce qui fut écrit ; et elle se remit sur son siége.)
Alors, certain de mon affaire, je priai le greffier de représenter à madame Goëzman la copie de la lettre que je lui avais écrite le 21 avril, telle qu’on l’a pu lire pages 25 et 26 de mon premier Mémoire, et qui a été annexée au procès par le Jay, où l’on voit cette phrase entre autres :
Je me garderais de vous importuner, si après la perte de mon procès, lorsque vous avez bien voulu me faire remettre mes deux rouleaux de louis, et la répétition enrichie de diamants qui y était jointe, on m’avait aussi rendu de votre part quinze louis que l’ami commun qui a négocié vous a laissés de surérogation.
« N’est-ce pas là, madame, lui dis-je, la copie de ma lettre qui vous fut apportée par le Jay, le 21 avril, et que vous confrontâtes ensemble avec l’original dont vous étiez si fort irritée ? Madame Goëzman, après l’avoir lue, la rejette avec colère, et dit : Je ne connais point du tout ce chiffon de papier, qu’on ne m’a jamais montré : je soutiens, au contraire, que la lettre que je reçus alors de monsieur n’avait aucun rapport à cette copie, et qu’elle n’était qu’un autre chiffon qui ne signifiait rien, et que j’ai jeté au vent. Ce que je fis écrire très-exactement.)
— Avant d’aller plus loin, j’ai l’honneur d’observer à madame que je lui tiens fidèlement ma parole de ne me venger de ses injures qu’en la forçant à se contredire. Elle convient aujourd’hui qu’elle a reçu une lettre de moi ; et je vois, dans son premier interrogatoire, qu’elle y a nié onze fois de suite qu’elle eût reçu aucune lettre de moi. »
Madame Goëzman, après avoir longtemps rêvé, répond enfin que, si elle a d’abord nié cette lettre, c’est qu’elle ne se souvenait plus alors d’un chiffon de papier qui ne signifiait rien, n’était de nulle importance, et qu’elle a jeté au vent.
Sa réponse écrite, je lui observe qu’il s’en faut de beaucoup que cette lettre lui ait paru d’aussi peu d’importance qu’elle veut le faire entendre, et qu’elle l’ait jetée au vent comme un chiffon inutile, puisque, dans son second interrogatoire, que j’ai sous les yeux, elle s’en explique à peu près en ces termes :
Tout ce dont madame Goëzman se souvient, c’est qu’elle a reçu une lettre du sieur de Beaumarchais, et qu’en la lisant elle s’est mise dans une si grande colère, croyant y voir qu’il répétait les cent louis et la montre, avec les quinze louis, qu’elle a envoyé chercher le Jay sur-le-champ, pour savoir de lui s’il n’avait pas rendu la montre et les cent louis qu’on lui redemandait avec les quinze louis ; que le Jay, de retour chez elle, en lui montrant la copie de la lettre du sieur de Beaumarchais, l’avait assurée qu’elle