Mariée ! Sans mon consentement !
Scène VI
Quel vacarme ! quels cris ! À qui en avez-vous donc, monsieur ?
Ma sœur, ma sœur, laissez-moi. Je vous ai confié l’éducation de ma fille, félicitez-vous : l’insolente miss s’est mariée à l’insu de ses parents.
Point du tout : je le sais.
Comment, vous le savez ?
Oui, je le sais.
Et qui suis-je donc, moi ?
Vous êtes un homme très-violent, et le plus déraisonnable gentilhomme d’Angleterre.
Eh ! mais… Eh ! mais, vous me feriez mourir avec votre sang-froid et vos injures ! On m’ose déclarer…
Voilà son tort. Je le lui avais défendu : c’est par là seulement qu’elle mérite tout l’effroi que vous lui causez.
Ma tante, vous l’irritez encore. Suis-je assez malheureuse !
Laissez-moi parler, milady.
Milady ?
Oui, milady ; et c’est moi qui l’ai mariée de mon autorité privée au lord ciomte de Clarendon.
À ce milord ?
À lui-même.
Je devais bien me douter que votre misérable vanité…
Quelles objections avez-vous à faire ?
Contre lui ? mille. Et une seule les renferme toutes : c’est un libertin déclaré.
Vous en avez fait tantôt un éloge si magnifique !
Il est bien question de cela ! Je louais son esprit, sa figure, un certain éclat, des avantages qui le distinguent, mais qui me l’auraient fait redouter plus qu’un autre, dès qu’il en abuse au mépris de ses mœurs et de sa réputation.
Vous êtes toujours outré. Eh bien, il s’est autrefois permis des libertés qu’il est le premier à condamner aujourd’hui : car c’est un homme plein d’honneur.
Avec les hommes, et scélérat avec les femmes : voilà le mot. Mais votre sexe a toujours eu dans le cœur un sentiment secret de préférence pour les gens de ce caractère.
Ah ! mon père ! si vous le connaissiez mieux, vous regretteriez…
C’est toi qui pleureras de l’avoir méconnu… Une femme juger son séducteur !
Mais moi ?…
Vous ?… vous êtes mille fois…
Point de mots, des choses.
C’est un homme incapable de remords sur un genre de faute dont la multiplicité seule fait ses délices : fomentant de gaieté de cœur dans la famille d’autrui des désordres qui feraient son désespoir dans lu sienne ; plein de mépris pour toutes les femmes, parmi lesquelles il cherche ses victimes, ou choisit les complices de ses dérèglements.
Mais vous conviendrez que sa femme est au moins exceptée de ce mépris général ; et plus vous reconnaissez de mérite à votre fille, plus elle est propre à le ramener.
Je vous remercie pour elle, ma sœur. Ainsi donc le bonheur que vous lui avez ménagé est d’être attachée au sort d’un homme sans mœurs ; de partager les affections banales de son mari avec vingt femmes méprisables La voilà destinée, en attendant une réformation certaine, à répandre des larmes, dont il aura peut-être la bassesse de faire un triomphe à ses yeux ; la fille la plus modeste est devenue l’esclave d’un libertin, dont le cœur corrompu regardé comme un ridicule la tendresse et la fidélité qu’il exige de sa femme. Je te croyais plus délicate, Eugénie.
En vérité, monsieur, je me flatte que jamais le modèle d’un portrait aussi vil n’aurait été dangereux pour moi.