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Page:Beaumarchais - Mémoires, tome1.djvu/17

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qu’il fallait encore être modeste, et lui recommanda de ne rien écrire sur cette affaire : le roi, lui dit-il, désire que vous ne publiez plus rien. Beaumarchais lui promit de garder le silence absolu pendant les cinq premiers mois des six que la lui accordait aux plaideurs mécontents pour appeler d’un jugement qu’ils trouvaient inique. Cette parole donnée, il se retire en Angleterre, non comme fugitif, mais pour donner au roi la preuve que son silence n’était pas l’effet de la crainte, qu’il ne procédait que de son respect. En arrivant à Londres, la sphère de ses idées s’étendit encore : il conçut des projets vastes et utiles pour la France ; les circonstances demandaient un génie entreprenant et courageux, tel que le sien venait de se montrer. peu de temps après, Louis XV le rappela, et le chargea d’une commission difficile ; il s’en acquitta avec une telle habileté et une telle sagesse, que Louis XVI, peut-être assez peu disposé à se servir des gens à qui son aïeul avait marqué quelque prédilection, l’honora de la même confiance, le chargea d’une autre mission qui exigeait encore plus de circonspection, et lui donna un billet écrit de sa propre main pour lui servir de lettre de créance. Si ce fut pour lui une source de nouveaux succès, ce fut aussi une source de nouvelles calomnies. Des ennemis plus cachés, plus ardents, plus dangereux, s’appliquèrent à suivre toutes ses démarches, à les envenimer, à lui nuire. Ces diverses commissions l’occupèrent pendant deux années. Le temps d’appeler du jugement porté contre lui s’était écoulé : ses ennemis se flattaient qu’il ne s’en relèverait jamais. Louis XVI avait renvoyé le Parlement de 1771, et rappelé les anciens magistrats. Le roi, content de la conduite de Beaumarchais, lui donna des lettres patentes qui le relevèrent du laps de temps perdu depuis le jugement du 6 février 1774. Elles sont datées du 12 août 1776. On y lisait : « Le sieur de Beaumarchais n’est sorti du royaume que par mes ordres et pour notre service. » Elles furent enregistrées le 27 août. Alors il demanda la rétractation de ce jugement par voie de requête civile. Les avocats, MM. Etienne Rochette, Ader et Target, déclarèrent dans leur consultation qu’il n’y avait eu de la part de Beaumarchais ni corps de délit ni apparence de délit. Ce sont leurs termes. Je vois le lecteur s’arrêter à ces mots et demander avec étonnement : comment un procès criminel peut-il être intenté avant qu’un corps de délit ait été cons-