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le château vert

des feux du soleil par un store blanc à bandes jaunes. Dans ce castel, au bord de la ville, on respirait avec délices le parfum des choses toutes neuves, d’une sobre élégance.

Philippe, quand il eut savouré sa tasse de café, descendit au parc lentement, sans dire un mot, par le perron de cinq marches. Thérèse, fâchée d’une pareille indifférence, baissa le front.

— Va le rejoindre, parbleu ! plaisanta François.

— Il est drôle, balbutia-t-elle. À quoi pense-t-il donc ?

— Je ne sais, petite. À moins qu’il ne pense à rien : ce qui est probable.

Thérèse, d’un bond de chatte, s’échappa dans le parc, à la recherche de Philippe. D’abord, elle ne l’aperçut point, sous la voûte des épais feuillages. C’est qu’ayant parcouru, pourtant sans hâte, une allée sinueuse, il sortait maintenant d’une touffe de roseaux, pour se promener sur le talus de bordure qui dominait un vaste domaine, éclatant de plantations diverses et occupé par trois serres.

Depuis deux mois, le fameux maraîcher d’Adge, Isidore Barrière, avait acheté, en mitoyenneté de l’habitation des Ravin, cette importante propriété, où il réalisait enfin le rêve de sa vie, qui était de dépenser son art très personnel de pépiniériste et d’horticulteur. Aussi pratique qu’imaginatif, Barrière avait pendant trente ans de labeur amassé une fortune de deux cent mille francs, que dans son paradis rayonnant de plantes et de fleurs comme le ciel d’étoiles, il se flattait d’augmenter sans trop d’efforts. Pour qui nourrissait-il l’ambition d’une fortune enviée ? Non pour lui, qui ne connaissait aucun plaisir hors de son domaine, mais pour son enfant unique, sa Mariette qu’il espérait bien marier avec un monsieur de la bonne société, à Béziers ou à Montpellier.

Le premier jour où, parmi les richesses de son jardin, Mariette, souriante et belle, brune fille du pays de la vigne et de l’olivier, lui apparut soudain, Philippe sentit son cœur, d’ordinaire, aussi calme que l’eau qui dort, s’éveiller dans une pensée de lumière et d’amour. Il l’admira longtemps, avec une sorte d’enthousiasme, comme s’il eût découvert la beauté pour la première fois. Dès qu’il pressentit qu’elle allait se trouver de son côté, il se rejeta violemment au sein des roseaux, par pudeur. Peu à peu, les jours suivants, il eut plus de courage, il