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le château vert

Il était quatre heures. La magnificence du paysage sous le souffle du vent plus calme qui ridait à peine le fleuve et ne tourmentait guère la brousse des vignes ravagées par la vendange, laissait Thérèse indifférente. Au castel des Ravin, dès le vestibule, elle entendit le rire sonore d’Eugénie, la mère de Philippe. Celle-ci, dans son boudoir familier, se divertissait des commérages qu’une amie lui racontait à propos d’un professeur du collège.

Thérèse, si gaie d’ordinaire, se présenta timidement au seuil du boudoir. Les doigts au menton, interloquée par la présence d’une dame qu’elle ne connaissait pas elle ne bougea plus. Eugénie subitement cessa de rire. Pétrifiée de surprise, elle regarda Thérèse, qui semblait près de pleurer, et elle comprit qu’elle allait entendre un mauvais message.

— Tu es seule, petite ! Qu’y a-t-il ?

Elle se dressa d’un sursaut ; Thérèse s’avança d’un élan rapide. Elles s’embrassèrent.

— Qu’y a-t-il ?… Un malheur ?

— Oh ! oui, un accident bien regrettable.

— À Philippe ?

— On se promenait en bateau, et Philippe est tombé à la mer !

— À la mer !

— Il est sain et sauf. Il repose dans un bon lit, une belle chambre.

— Ô mon Dieu ! Mon Dieu !… Je viens avec toi !…

S’excusant auprès de la dame, son amie, de la triste obligation où elle était d’interrompre leur entretien, Eugénie dit à Thérèse :

— Au lieu d’aller au magasin informer François de cette méchante nouvelle, ce qui nous prendrait trop de temps, je vais lui téléphoner. Ensuite, je monterai à ma chambre… Une minute !

Eugénie se rendit en hâte dans le coin du vestibule où était installé, sous la rampe de l’escalier, derrière un rideau, l’appareil du téléphone. L’appel ne tarda guère. Elle téléphona d’abord à son médecin, puis à son mari. Thérèse, très attentive, ne put percevoir que quelques mots de la dernière conversation, lorsque Eugénie, énervée peut-être, éleva la voix, à son insu : « — Oui, ce ne sera rien. Alors, je dînerai là-bas. Tu viendras m’y rejoindre. Oui, parfait ! À ce soir !… »