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LE SECRET DE L’ORPHELINE

— Contez moi cela par le menu, Georgine.

Elle hésitait, au supplice. Pourquoi, alors, ne poussait-il pas la bonté jusqu’à deviner, sans autres explications ?

Lui attendait toujours et avec tant d’amoureuse anxiété, le corps ployé, tout son visage l’interrogeant que Georgine n’y tint plus. Baissant les yeux, la gorge nouée à lui faire mal et le rouge au front, elle lui conta l’absurde erreur dont elle avait vécu.

Elle n’était pas l’enfant du pharmacien de Chicago, descendant de nobles français, mais bien la petite-fille de celle qu’elle nommait encore sa marraine. Le vieux Foley, son grand-père maternel ; la sordide Maggy. sa grand’tante. À Hull, on l’avait rajeunie pour la garder le plus longtemps possible à la maison, en sorte qu’elle comptait trois ans de plus que ce qu’elle avait toujours cru. Elle possédait donc qu’une intelligence fort ordinaire au lieu de la précocité qui avait fait l’émerveillement de tous. En peu de mots, c’était tout, mais que c’était énorme !

Lorsqu’elle eût cessé d’entendre le son de sa voix, Georgine s’affaissa sur elle-même et, la honte au front, elle n’eût jamais osé relever les yeux si des propos inespérés n’avaient soudain frappé son oreille.

— Quoi ! raillait Jacques avec un accent d’indicible douceur, c’est pour cette misère, Georgine, que vous vous prépariez à consommer le malheur de deux vies… Eh bien, moi j’en conclus que vous avez évidemment besoin d’un tuteur et qu’il est grand temps de vous l’imposer…

Il continua ainsi longtemps. Georgine avait enfin levé les yeux. Elle buvait ses paroles. Une joie s’épanouissait en elle qui pénétrait les moindres fibres de son être et si complète que les mauvais jours passés lui faisaient l’effet d’une rêve menteur. Elle avait pu se séparer de Jacques… Vivre sans lui… Douter de leur indestructible amour… Était-ce bien elle qui avait souffert à crier, à désespérer et pour qui l’avenir était fermé comme avec un mur de fer… Ses terreurs passées, elle avait maintenant envie d’en rire. Surtout, elle avait peine à se les représenter comme des réalités. Le présent effaçait tout.

Soudain, Georgine détacha ses yeux de ceux de Jacques qui la fascinaient et, regardant autour d’elle, elle chercha celle qui, en ce moment, leur donnait l’hospitalité. Sa surdité l’avait tenue à l’écart de leur entretien et elle ignorait encore ce qui allait transformer sa vie, à elle aussi.

La jeune fille se leva, fit quelques pas vers elle et, lui tendant les bras :

— Grand’mère ! fit-elle.

Mme Favreau entendit. Eut-elle, à cette minute seulement, l’intuition de la vérité ou si un long pressentiment l’avait déjà orientée en ce sens ?… Elle ne dit rien mais sa main chercha un meuble pour s’y appuyer et sa pauvre figure prit une teinte de blancheur immatérielle.

Georgine ne put, de sang-froid, supporter ce spectacle et, se tournant vers Jacques :

— Je vous en prie, demanda-t-elle, expliquez-lui les choses. Elle ne sait rien. Moi je suis sans forces…

Et incapable de contenir plus longtemps les sanglots qui montaient à sa gorge, elle se laissa tomber sur une chaise et enfouit son visage dans ses mains.


V


Un dimanche après-midi sous les frais ombrages du parc Lafontaine. Bien près l’un de l’autre, à l’extrême bout du banc qu’ils ont élu — les places sont rares et précieuses — deux jeunes époux conversent à voix retenue. Si visible est leur entente qu’on s’étonne presque de les voir astreints à prononcer des mots pour se révéler leur pensée ; il semblerait qu’une simple pression de mains, un regard échangé dussent suffire. Rien ne prouve, d’ailleurs, qu’il n’en est pas ainsi lorsqu’ils ne vivent que d’eux-mêmes. Mais en ce moment, ils s’oublient, dans l’ivresse de se posséder et, fort gentiment, s’occupent de leur prochain.

— Aucune nouvelle ne pouvait m’être plus agréable, affirme pour la quatrième fois au moins et avec une chaleur qui ne laisse pas de doutes sur sa sincérité, la jeune femme.

C’est une brune jolie à en être remarquable et dont la radieuse fraîcheur proclame qu’elle atteint à l’épanouissement de sa saine jeunesse.

— Est-il né au pays, ajoute-t-elle, ou s’il est français de France ?

— Français de France et même tout juste débarqué, répond le mari, un homme