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Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/129

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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— Achevez.

— Eh bien… madame, le second renfermait une femme d’une admirable beauté, noble et divine créature dont la cupidité ou la haine voulait trancher l’existence… cette femme… c’était vous !

— Moi ! balbutia la duchesse en se reculant d’un bond rapide, comme si elle eût vu sur elle un poignard levé. Elle regarda ses habits mouillés, ses cheveux ruisselants et elle pâlit.

— Vous-même… Comprenez-vous maintenant qu’il faille vous dérober à la vengeance de vos ennemis ? Comprenez-vous que ce cadavre nous accuse ? Par pitié, madame, puisque le ciel m’a fait déjouer un crime, aidez-moi à compléter son œuvre en acceptant un asile, en vous confiant à moi. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il m’a été donné, sachez-le, de voir les traits célestes de celle que j’ai sauvée… Excusez, madame, l’aveu d’un secret qui serait mort dans mon sein ; mais en ce moment même, où je ne devrais songer qu’à fuir, une voix impérieuse me dit de rester. Madame, je suis à vous, disposez de moi et de ma vie… je vous aime !

La parole de Charles s’éteignit en ce moment sous ses sanglots ; son cœur était brisé, mais son œil rayonnait d’amour, il conjurait la duchesse, et la suppliait de croire en lui. L’indicible beauté de cette femme plongeait son âme dans une telle ivresse qu’il eût bravé pour elle mille morts. Pour la duchesse, elle ne le regardait seulement pas.

— Oui, se disait-elle en reconnaissant l’humble cabane du passeux… oui, je me souviens d’être venue dans ce gîte misérable… J’avais même remis à cet homme certain dépôt…Qu’en aura-t-il fait ? Il m’a dénoncée peut-être… enfermée dans ce sac, moi la duchesse de Fornaro ! Mais par l’ordre de qui ? Dois-je croire au démon ?…

Et ce sac humide dont l’eau filtrait, ce cadavre de maître Gérard, menaçaient de la rendre folle…