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Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/31

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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— Après tout, mon gentilhomme, répondit Gérard, puisque vous l’exigez, je m’en vais vous satisfaire. Ce berceau que vous voyez fut fait par moi, il y a quinze ans, pour une pauvre petite créature qu’on espérait bien noyer en Seine.

Vivat ! tu sauvas l’enfant ? J’en eusse fait autant à ta place, mon brave Gérard ! C’était peut-être quelque petit monstre qu’on voulait prudemment empêcher de grandir, de peur qu’il ne déshonorât son noble père ? demanda l’Italien avec ironie… On a vu cela ; continue.

— Du tout, mon gentilhomme, vous êtes pleinement dans l’erreur. Le pauvre enfant recueilli par moi, grâce à mon filet de pêche, était une ravissante petite fille…

— Que tu as vue grandir, croître sous tes yeux, jusqu’au jour où ses parents…

— Ses parents… continua le passeux en hochant la tête, elle n’en avait point ; personne ne la réclama. Ceci dura deux ans ; elle grandissait et devenait belle à faire ma joie… Un soir, des bateleurs revenant de l’Arsenal, où M. de Sully donnait une fête, entrèrent subitement chez moi… Ils exigèrent que je les conduisisse vers Conflans. Pendant que je disposais ma barque, je crus entendre des gémissements sourds, étouffés. L’un d’eux me tenait toujours par ma cape, je voulais sortir, je voulais reconnaître l’endroit d’où partaient ces cris… Tout d’un coup, un de ces misérables me pousse dans l’eau, les autres me frappent à coups d’aviron ; j’avais beau crier, ils chantaient en chœur un noël assourdissant. Leur barque s’éloigna, laissant bientôt derrière elle un sillage où s’était mêlé mon sang… Quand on me transporta chez moi sur mon lit, ma cabane était déserte. Le berceau de la pauvre enfant était renversé, mon chien était couché près du berceau et faisait entendre des hurlements douloureux. En un mot, on m’avait enlevé ma fille, mon seul bien, hélas ! le trésor de ma pauvreté ! Ces lâches l’emmenaient, ils l’emportaient dans ma propre barque !

— Et tu ne pus découvrir…

— Les noms et la retraite de ces misérables ? Non, mon-