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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

son éducation lui avait peut-être nécessités. Le cœur d’un enfant a sa pudeur comme celui d’une jeune fille, Henri excusait tout bas son père, et se reprochait intérieurement de lui être à charge.

Il s’était mis en tête de se faire tuer pour son pays, et ce n’était pas sa faute si les boulets turcs l’avaient cette fois épargné.

— Encore ma mauvaise étoile, murmurait-il, qu’avais-je besoin de revenir ! Un pareil accueil à moi qui donnerais mon sang et ma vie pour lui épargner une seule larme. Ah ! les miennes m’oppressent, mon cœur éclate à la seule pensée que je ne suis rien pour lui ! rien, pas même un souvenir vivant de celle qu’il a tant aimée ! Ah ! pourquoi la mitraille des Algériens m’a-t-elle épargné ! pourquoi ne suis-je pas mort sous le feu des Hollandais à ma première campagne ! Je ne suis plus qu’un câble de rebut, un objet d’horreur pour lui ! Mon Dieu ! que lui ai-je donc fait ?

Et cette jeune fille dont il m’a parlé, reprit-il bientôt, qui est-elle donc ? qu’est-elle à mon père pour venir usurper ma place ? Il la nomme sa fille ! sa fille ! lui-même me l’a dit. Oh ! quoi qu’il en puisse arriver, j’éclaircirai cette énigme ; oui, demain, ce soir même…

Henri s’était levé et il se promenait dans cette chambre à grands pas. La honte et le désespoir brûlaient son front comme un fer rouge ; il se parlait à lui-même avec une rage insensée en se tordant les mains en pleurant.

Tout d’un coup il s’arrêta…


II

LE MARIN.


L’aspect de cette pièce, où se trouvait suspendu le portrait dé son amiral, paraissait à la fois le surprendre et l’émouvoir, il y reconnaissait à plusieurs indices le passage récent d’une femme…