Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome2.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

C’était une maison froide, imposante, silencieuse.

Madame de Lauzun y menait elle-même une vie de recluse, une vie d’expiation.

Il lui avait semblé, en effet, qu’à mesure que Lauzun étendait ses désordres, elle devait, elle, étendre ses austérités et sa pénitence.

Les paroles sévères de Bossuet et de Bourdaloue avaient retenti plus d’une fois sous ces riches lambris, la robe du père Feuillet avait traîné sur ces dalles. La conversion de la comtesse était sincère.

La vie de Lauzun avait de bonne heure effrayé cette âme timide, d’un commerce exact et régulier, dont les moindres actions procédaient à la fois d’une raison éminente et d’une probité de mœurs dont les plus sages s’étonnaient. Équitable et modérée, la comtesse était une de ces femmes rares qui font le bien pour elles-mêmes ; une circonstance particulière de sa vie avait, dit-on, déterminé sa conversion, mais cette circonstance, un seul homme la savait.

En revenant de sa visite chez Lauzun, elle traversa d’un pas agité le vestibule orné de statues, passa le premier étage en franchissant l’escalier, puis se dirigea à travers un long corridor vers une petite chambre dont la clef pendait à sa châtelaine.

La porte une fois ouverte, madame de Lauzun se trouva dans une complète obscurité.

Seulement, elle entendait dans la chambre le bruit d’une respiration égale et douce. Elle écouta, puis tira les rideaux de la fenêtre.

La lune envoyait alors à cette pièce une clarté pâle. Sur un lit aux courtines sombres se détachait une robe dont un sculpteur eût alors admiré les plis ; elle recouvrait un corps mince et délicat. La tête de la dormeuse était noyée dans ses grands cheveux, la nacre de ses épaules et de son cou était adorable. Les deux mains de la jeune fille étaient