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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

croisées mollement sur sa poitrine à côté d’elle reposait un livre entr’ouvert.

La comtesse observa longtemps ce sommeil d’ange, si calme et si pur, que l’on entendait les bruyants insectes de la nuit bourdonner aux vitres de la fenêtre tapissée de lierre. Cette fenêtre donnait sur la rue de Grenelle, devenue à cette heure paisible et triste.

— Elle dort, pensa-t-elle ; elle rêve peut-être à son père ! son père que j’ai vu si brillant, si somptueux à son pavillon de Saint-Mandé ! Sait-elle seulement qu’il fut le premier dans l’État, après Mazarin ; que Lambert, Lulli, Molière et Pelisson charmaient ses fêtes ? Elle est fille d’une mère qui, à cette féerie splendide de Vaux, venait la première après la reine ! Pauvre enfant si noble et si malheureuse ! Des salons de Fouquet, où fut son berceau, elle a passé vite à la paille de la Bastille, elle a partagé cette détention cruelle où son père usa ses forces. Ah ! quoi qu’il advienne, c’est moi qui me charge de son bonheur ; je trouve dans ses traits seuls l’explication de ma sympathie pour elle. De tous ses enfants, c’était celui que Fouquet aimait le plus ; avant de mourir, il l’a confiée à Saint-Évremont. Mais Saint-Évremont est exilé, mais Leclerc lui-même, à qui il avait recommandé cette enfant, est impuissant à se défendre. Mon Dieu ! vous qui avez parlé si haut à mon cœur dans cette nuit qui décida de ma foi, c’est vous aujourd’hui que j’invoque. Faites descendre sur cette jeune et noble tête les bénédictions que j’implorais pour un autre ! Consolez-moi par elle de l’ingratitude et de l’abandon de mon fils ! Jeune encore, vous le savez, et même en marchant dans le sentier de l’erreur, j’aimais le bien, la vertu ; maintenant, c’est en Madeleine que j’aimerai tout cela.

Épuisée de fatigue et de douleur, la comtesse avait fléchi les genoux sur un prie-Dieu ; elle regardait Madeleine Fouquet dans une rêverie mélancolique. Tout à coup un bruit léger, pareil au frôlement d’un manteau sur la pierre, fit détour-