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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

fois plus de rivaux et plus de traverses, plus d’envieux et plus de succès. Vis-à-vis du roi, il résumait la pensée du néant à l’égard de l’infini ; il avait habité la cour pour n’en récolter que le dégoût, et cependant cet ambitieux immense tenait encore à la cour et à ses principautés ; il espérait bien rentrer en grâce à l’aide de sa femme ; rien ne l’avait détrompé, pas même le malheur.

La mort venait-elle donc de l’enlever après Fouquet et Turenne ? avait-elle brisé ce miroir de grâce et d’élégance ? C’était au sein d’une fête qu’on devait, d’après son expresse volonté, ouvrir le testament daté par lui de Pignerol. Il y avait là de quoi étonner les plus résolus, de quoi confondre les plus incrédules.

Le cachet qui fermait le testament de Lauzun, ainsi que la suscription de l’écrit à l’adresse de la maréchale de Roquelaure, fut bientôt exposé à la vue de tous ; c’étaient bien les armes de Peguillin, comte de Lauzun, qui s’y trouvaient empreintes sur la cire.

Il se passa bien un grand quart d’heure avant que le silence fût rétabli.

Tous les invités, le col tendu vers la maréchale, formaient une triple haie dont le pinceau d’un peintre eut sûrement profité.

Les uns laissaient percer malgré eux une joie secrète et ceux-là se distinguaient, il faut bien le dire, par l’aisance de leurs manières, leur succès et leur aplomb ; c’étaient de ces marquis crayonnés vingt fois par Molière, ce hardi réformateur, et plus tard par Saint-Simon. Ils portaient l’ongle long au petit doigt, la perruque à l’ambre, et la ceinture brochée d’or ; ils couraient les ruelles et se posaient sur l’orchestre en plein théâtre, de façon à masquer l’acteur ; ils jouaient un jeu d’enfer, et se trouvaient de toutes les parties de Marly.

Pour eux, la mort de Lauzun était un bienfait, car du fond d’Amboise ou de Pignerol, Lauzun dictait encore ses lois au monde élégant ; tout ce qu’il avait mis à la mode