Aller au contenu

Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome2.djvu/267

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
260
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

réconcilier avec lui, cela vaudra mieux. N’est-il pas inouï qu’elle l’ait prié de cette fête ? Par ma foi, j’y mettrai ordre ; et bien que le roi ait promis de le faire duc…

— Duc ! avez-vous dit, duc, lui, le comte de Lauzun ? reprit d’Alluye avec une rage étouffée.

— Ma foi, oui ; la Montespan lui en a touché deux mots. Après s’être faite l’instrument de sa disgrâce, elle veut sans doute le dédommager, elle veut…

— La voici, interrompit d’Alluye en tirant Roquelaure par l’une de ses basques. Je vous laisse avec elle. Qui, mieux que vous, peut perdre quelqu’un ?

Ce trait lancé, le marquis s’éclipsa au milieu d’un flot de seigneurs qui envahissaient déjà le salon. Madame de Montespan venait de terminer sa toilette ; elle était belle, si belle, que Roquelaure en fut interdit.

Sa taille déformée par de nombreuses couches était emprisonnée si adroitement ce soir-là dans d’épaisses bouffantes, que le duc crut voir cette jeune Athénaïs de Mortemart, qui le disputa victorieusement à la Vallière, la violette de la cour. Le lis était sur son front, la rose sur ses joues, l’émail à ses dents et le corail à ses lèvres. Les poètes du temps l’eussent déifiée rien qu’à la voir.

Roquelaure se rappela à propos qu’elle était mortelle, et il lui baisa la main.

— Me pardonnerez-vous, lui dit-il, de ne plus me croire si laid ? Les fées, assure-t-on, métamorphosent ceux qu’elles touchent. Me voilà de par Dieu, non… je me trompe, de par vous… aussi beau que ce Lauzun qui vous promenait hier avec tant d’ostentation dans votre carrosse. Est-ce bien à vous, marquise, qu’on devrait reprocher un regard jeté en arrière, à vous que tout le monde admire et envie, vous l’astre des fêtes, vous que le roi…

— Ne me parlez pas du roi, cher duc, reprit madame de Montespan avec vivacité, parlez-moi du comte ; n’est-il pas vrai qu’il est beau ? Je n’ose ajouter qu’il m’aime, balbutia la marquise ; cependant à la vivacité de ses serments…