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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Lavardin, homme oublieux de sa nature, ne croit assister qu’à un spectacle ordinaire ; il se souvient à peine de sa haine contre Lauzun ; seulement il serait content qu’il fût blessé.

D’Alluye le voudrait mort.

Avant de se battre, Henri vient d’écrire à mademoiselle Fouquet la lettre suivante :


« Mademoiselle,

» Je suis bien heureux, je vais enfin vous venger. J’ai provoqué le comte de Lauzun au bal de madame de Montespan. Si le ciel est juste, c’est sur lui que plane la mort. Aimez-moi autant que vous devez mépriser cet homme.

» Henri. »


C’était le premier duel du jeune enseigne : jusque-là il n’avait tiré le sabre que contre les corsaires de Tunis ; aussi Lavardin et d’Alluye avaient-ils tenu à l’exercer.

Henri était jeune, alerte ; il pouvait risquer une légère blessure, mais non toucher à fond Lauzun ; c’était un de ces courages déterminés dont l’inexpérience équivaut souvent à de l’adresse. Il avait d’ailleurs une teinture faible des armes, mais il pouvait se battre.

Ce seul mot : Je puis me battre, l’avait ému, transporté.

Comme un lionceau jeune et fort, il fondit d’abord avec impétuosité sur le comte, qui, résolu de le ménager, rompit de quelques semelles. Henri pensa qu’il fuyait.

— Rassurez-vous, comte, lui cria-t-il, je ne veux que vous tuer.

Le comte sourit, tout en se tenant merveilleusement à la parade. Il fatiguait le bras de son adversaire par un cercle continu, ironique, éblouissant.

En ce moment-là il était si jeune, si brillant, si animé, que Lavardin et d’Alluye eux-mêmes l’admiraient.

— Reposez-vous, dit-il à Henri, en mettant la pointe en terre.