Page:Becq de Fouquières - L’Art de la mise en scène, 1884.djvu/118

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qu'on appelle la couleur locale serait dans ce cas-là beaucoup plus nuisible qu'utile, car elle serait sans doute en opposition avec l'idée que le public en général se forme des mœurs turques et du mystère qui entoure la vie privée des femmes. Tout le travail d'approximation que serait tenté de faire l'auteur laisserait le public froid et incrédule.

Ce que nous cherchons dans le théâtre, en dépit de l'école réaliste, qui a absolument tort sur ce point, c'est une image des idées acquises et enregistrées par notre esprit; c'est le spectacle de passions analogues à celles qui pourraient nous agiter. Le théâtre est donc en quelque sorte fondé sur le transport de nos propres états de conscience dans les personnages du drame. Tout ce qui n'est pas concevable pour nous-mêmes n'est ni vrai ni vraisemblable à nos yeux. Tout le monde sait combien il nous est difficile, pour ne pas dire impossible, de concevoir des êtres ayant un sixième, un septième, un huitième sens, ou des corps ayant moins ou plus de trois dimensions. Il en est de même des idées: il nous est impossible de concevoir chez un autre des idées que nous ne concevons pas en nous. On peut en donner un exemple historique frappant. Supposons qu'un poète nous représente Périclès pleurant sur le tombeau du dernier de ses fils. Certes ce sera un spectacle touchant si nous ne voyons en lui qu'un père, en tout semblable à nous, se lamentant sur la perte d'un fils bien-aimé. Mais si l'auteur s'avise de faire de l'archéologie morale et veut nous intéresser au chagrin particulier qu'a ressenti Périclès à la