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GRANDGOUJON

écrire à la tante de Clermont, pour la remercier de sa sollicitude : « Mon pauvre fils a failli mourir au champ d’honneur, après vous avoir vue. » Et tandis qu’elle traçait ces lignes, d’une vieille plume fantasque et chevelue, incapable de former plus d’une lettre sur trois, son postiche lui glissait sur l’œil, mais elle ne s’en souciait point : elle était absente et émue.

Son fils, au lieu d’être attendri, bougonna :

— S’en fichera bien la vieille ! Autant écrire à son chat. Voilà les vieux trumeaux que nous défendons !

— Pauvre chéri ! dit sa mère avec tendresse. Vous défendez la France telle que Dieu l’a faite.

— Il l’a mal faite, ronchonna Grandgoujon. Puis il tâta son ventre.

— Je vais revoir mon médecin… J’avale toujours de l’air.

Et secouant la tête :

— Combien d’années va durer cette tuerie ?

Enfin, il serra le poing :

— Qu’ils essayent, maintenant de me conter des bobards !

Ils, c’était, dans sa pensée imprécise, tous les « cannibales » qui estimaient ces temps naturels et cette guerre supportable. « Après quelle chimère courait-on ? Puisqu’on ne pouvait aboutir en Orient, que la Russie était en compote, qu’en France il n’y avait pas mèche de percer, autant abattre les cartes et retourner chacun chez soi, avant d’avoir un pays saigné, épuisé, gros comme la Suisse ! » Mais à énoncer seulement ces ré-