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GRANDGOUJON

Madame des Sablons écoutait d’une oreille. Elle interrogea l’enfant :

— Petit, tu as vu les Boches ?

Silence. Et le soldat de répéter :

— L’a la tête dure, c’est terrible ! À ce qu’il paraît, avec les Boches ils étaient mal foutus, mais sont passés en Suisse, ousqu’on les a reçus bien : y a rien à dire.

— Voulez-vous un petit vin mousseux pour commencer ? demanda Grandgoujon qui avait repris la carte.

De sa grosse voix il appela le garçon :

— Eugène, approche cette table… puis l’autre. Apporte une nappe propre, des assiettes claires, des verres en cristal… N’aie pas peur qu’on les casse : ils ne peuvent pas finir autrement… Eugène, nous sommes huit. Tu vas commencer par nous donner une omelette pour huit, avec du fromage pour douze.

— Ça va, dit le garçon, inscrivant sur un bloc. Avec ça on peut tenir, et on les aura !

— Après, dit Grandgoujon, j’aurais voulu vous faire faire un canard écrasé : c’est inoubliable, mais… j’ai trop de chagrin aujourd’hui… Alors, Eugène, tu vas simplement dire à la patronne de nous fabriquer des côtelettes glacées, avec sa sauce au madère… Mesdames, quand on mange ici des côtelettes glacées, on oublie la guerre, nos offensives sur place, le rouleau russe et les retraites stratégiques des Anglais… Eugène !… veux-tu m’écouter !… Tu regarderas Monsieur Moquerard demain !