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Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/312

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GRANDGOUJON

chement… Et le mousseux ? À la bonne heure ! On va clarifier ses idées !

— Ce qui ne te fera pas de mal, dit Moquerard.

— Mesdames, annonça Grandgoujon d’un accent pénétré, y a-t-il rien, pour les yeux, de plus admirable que ce vin-là ? Noble vin, gloire française !… Madame des Sablons, j’ai vu des gens épatants ne pas savoir ce que c’est que du bon vin : jamais je n’ai vu un imbécile l’apprécier !

— Habile façon, dit Moquerard, de nous déclarer son génie !

— Oh ! je ne parle pas de moi, reprit Grandgoujon, surtout aujourd’hui… (il soupira) où je ne suis bon à rien, même pas à me taper la tête comme il faut. D’ailleurs, j’en reviens à ma théorie…

— Gare ! Sa théorie ! dit Moquerard.

Grandgoujon était largement installé. Il tenait la place de deux personnes ; mais il avait l’air contrit pour reprendre :

— Ce n’est pas une théorie si vous voulez. C’est une réflexion. Je ne suis rien, moi, dans ce pays, comme le camarade syndiqué qui m’accompagne : troufion, c’est-à-dire zéro… Nous n’avons qu’à approuver toujours, sans comprendre jamais.

Il tenait son verre, et il semblait qu’à cette vue sa parole s’animât :

— Un jour, on nous dit : « On a failli être victorieux ; il y avait des canons, mais pas de munitions ». Il faut répondre : « Tant pis ! » Un autre jour, il vient des munitions, mais il n’y a