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GRANDGOUJON

l’Amérique dans la danse : qu’ils se tirent d’affaire ! Mais qu’on ne revienne pas me chercher : c’est fini, on ne m’aura plus !

Et il s’épongea.

— Ça, dit Moquerard, se relevant, c’est notoirement du défaitisme, mais c’est bien dit, et c’est pensé. Après quoi, chère âme, ne peux-tu pas nous repayer une bouteille de ton petit rouge ?

— Eugène ! appela Grandgoujon. Du rouge !

Alors, Moquerard de s’ébrouer :

— Ça y est ! Ça y est déjà ! On l’a ! Nous l’avons !

Grandgoujon ne se troubla pas :

— Parce que je veux bien !

Puis, avec grandeur, il commanda de la salade et du pâté, du pâté de la maison, lapin et porc hachés, tout bien cuit dans un jus provenant des os bouillis, avec un doigt d’eau-de-vie et les quatre épices.

Et il le présenta, disant :

— N’ayez crainte : ce n’est pas de la chimie.

Puis il s’excusa qu’il n’y eût plus aucun dessert vraiment louable :

— Mes amis, nous serons vainqueurs et les mers sont libres. Seulement… quand on demande un petit gâteau feuilleté, on vous répond : « Le ministre l’interdit. » Chameau !… Je voudrais voir ses menus. On ne lui sert pas à tous les repas du porc-épic, fourré d’aiguilles à tricoter… Eugène !… donne-nous ce qui reste. Des ploums ! Douze pour huit !

— Douze ? dit Moquerard. Alors tout le monde n’en a pas deux ?